Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, le 1er décembre à Buenos Aires, lors du sommet du G20. / AP

La justice turque a émis, mercredi 5 décembre, des mandats d’arrêt visant deux proches du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salman, dit « MBS », en liaison avec le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre, au consulat de son pays à Istanbul. Ardent critique du pouvoir saoudien, M. Khashoggi résidait depuis 2017 aux Etats-Unis où il collaborait au Washington Post.

Dans sa requête, le procureur général d’Istanbul dit « soupçonner fortement » le général Ahmed Al-Assiri, ancien chef adjoint du renseignement saoudien, ainsi que Saoud Al-Qahtani, ancien conseiller du prince, de « faire partie des planificateurs » du meurtre. Par ce geste, la Turquie fait savoir une fois de plus qu’elle ne lâchera pas l’affaire Khashoggi, devenue le cheval de bataille du président Erdogan. Ankara manifeste ainsi son mécontentement de la tournure prise par l’enquête menée au royaume.

Un reproche formulé mercredi par Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des affaires étrangères, qui, regrettant « les déclarations contradictoires » de Riyad, a invité la partie saoudienne à « faire preuve de transparence envers la Turquie ainsi qu’envers la communauté internationale en partageant les résultats de ses investigations ».

Mise à l’écart purement formelle

Officiellement, Ahmed Al-Assiri et Saoud Al-Qahtani, les deux membres de l’entourage de « MBS », ont bien été démis de leurs fonctions le 20 octobre, mais les Turcs soupçonnent une mise à l’écart purement formelle. Le royaume affirme de son côté avoir identifié 21 suspects. Onze ont été présentés à la justice, la peine de mort a été requise contre cinq d’entre eux. Il n’est pas certain toutefois que les deux proches de « MBS » mis sur la sellette par les Turcs figurent parmi les personnes inculpées. Pour Ankara, les deux hommes, mandatés par « MBS », ont supervisé l’équipe de quinze personnes envoyée à Istanbul pour éliminer le journaliste, venu effectuer des démarches administratives au consulat.

La méfiance des autorités turques est totale envers le royaume saoudien, qui met en avant une autre version. Après avoir affirmé dans un premier temps que Jamal Khashoggi avait quitté vivant son consulat à Istanbul, Riyad a fini par reconnaître, sous la pression internationale, que le journaliste avait été tué et que son corps avait été démembré à l’intérieur de la représentation diplomatique, tout en niant l’implication du prince héritier.

Des explications « difficilement croyables »

A maintes reprises, le président Erdogan a réclamé l’extradition des suspects arrêtés par le royaume, sans succès. La dernière fois, c’était samedi 1er décembre au G20, à Buenos Aires, quand il a évoqué avec dépit « les explications difficilement croyables » de « MBS » sur le rôle de son pays dans cette affaire. Le numéro un turc, qui connaissait personnellement Jamal Khashoggi, ne perd pas une occasion de rappeler que l’ordre d’éliminer le journaliste, fervent critique du prince héritier, émanait du « plus haut niveau » du royaume, sans toutefois mettre en cause ouvertement « MBS ».

L’offensive judiciaire de la Turquie intervient juste après que des sénateurs républicains ont affirmé mardi n’avoir « aucun doute » sur le fait que le prince héritier saoudien avait « ordonné » le meurtre de Jamal Khashoggi. Ces déclarations ont été faites à Washington à l’issue d’une réunion à huis clos entre quelques sénateurs et Gina Haspel, la directrice de la CIA. Autre révélation américaine, « MBS », qui nie avoir eu connaissance de l’opération, a échangé une dizaine de messages avec son plus proche conseiller, Saoud Al-Qahtani quelques heures avant l’assassinat, selon des documents classifiés par la CIA et récemment publié par le Wall Street Journal.

Pour M. Erdogan, il est primordial de maintenir l’affaire Khashoggi sous les feux de l’actualité. L’acteur et réalisateur américain Sean Penn a ainsi été convié à tourner un documentaire sur le meurtre du journaliste. Il a été vu mercredi avec son équipe de tournage en train de filmer aux abords du consulat saoudien dans le quartier de Levent, sur la rive européenne d’Istanbul.