Le président libérien, George Weah, au siège de l’Unesco, à Paris, le 12 novembre 2018. / POOL New / REUTERS

George Weah, le président du Liberia, le sait : il est attendu au tournant. Les moins de 35 ans (qui représentent 75 % des 4,7 millions de Libériens) et les pauvres (50,9 % de la population) qui l’ont plébiscité lors du scrutin de décembre 2017 espèrent désormais une concrétisation rapide de ses promesses de campagne. Emploi, éducation, santé… Les besoins sont immenses, et le budget national pour les satisfaire, lui, bien maigre : 570 millions de dollars (environ 500 millions d’euros) pour l’exercice 2018-2019, dont une grande partie consacrée au fonctionnement de l’Etat et au paiement des intérêts de la dette.

Cette faible marge de manœuvre, le président libérien, 52 ans, ne s’y attarde pas en ce mercredi 28 novembre, lorsqu’il reçoit Le Monde Afrique et Radio France internationale (RFI). De bonne humeur, il vient de lancer un projet d’appui à l’emploi des jeunes, financé par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) à hauteur de 5 millions de dollars. Un projet qui vise notamment à favoriser l’entrepreneuriat chez les 18-35 ans, grâce à des prêts ou des subventions pour les micro-entreprises et des formations professionnelles. Le chef de l’Etat explique :

« Quand j’ai repris mes études et que je suis allé à l’université [à 40 ans], ma spécialité était le management des petites entreprises. Cela m’a beaucoup aidé, car j’ai ensuite créé ma propre entreprise, qui m’a permis de vivre après ma carrière de footballeur. Ces petites entreprises constituent aujourd’hui la base de notre système économique. Leur rôle, à court terme, est crucial, car pendant que nous travaillons à la construction de meilleures infrastructures capables d’accueillir des activités et des entreprises plus importantes, ce sont elles qui doivent travailler pour le pays. Il faut donc les aider à se développer, pour que les jeunes Libériens comprennent qu’en commençant très petit, on peut devenir très grand. »

Un « Pro-Poor Agenda »

Entre deux poignées de mains et quelques photos, Rémy Rioux, le patron de l’AFD, qui a fait le déplacement à Monrovia, précise :

« En plus d’un premier volet consacré à la formation à l’entrepreneuriat, ce projet en comporte un second, dédié à l’autre priorité du président Weah : l’éducation, et plus particulièrement l’enseignement supérieur. Nous avons donc créé un partenariat avec l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, via lequel nous financerons des bourses pour au moins 40 étudiants libériens. Le but étant qu’ils aillent se former en Côte d’Ivoire et qu’ils reviennent ensuite au pays. »

AFD, Banque mondiale, Union européenne, Banque africaine de développement… En véritable VRP de son pays, l’ancien attaquant du Paris-Saint-Germain multiplie les voyages, rencontres et signatures de contrats. Mais s’il compte évidemment sur l’appui des bailleurs de fonds internationaux pour financer son ambitieux plan quinquennal (2018-2023), le fameux « Pro-Poor Agenda » (programme pour les pauvres), George Weah table aussi sur une meilleure mobilisation des ressources nationales et une amélioration du système fiscal, comme l’indique le très dense document de présentation dudit programme (165 pages), que le président résume ainsi :

« Notre Pro-Poor Agenda consiste à donner aux gens ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin. Tout ce que nous avons mis en place depuis notre arrivée, il y a neuf mois, et qui n’avait pas été fait pendant les douze dernières années, va dans ce sens. Et je vous assure que si nous parvenons à passer autant de temps au pouvoir, nous ferons encore plus pour les populations les plus pauvres. »

Gratuité de l’université

Les tacles, bien appuyés, à sa prédécesseure, Ellen Johnson Sirleaf (2006-2018), l’ancien Ballon d’or les affectionne particulièrement en cette matinée, comme lorsqu’il commente l’une des décisions phares de son début de mandat, la gratuité de l’université pour tous les étudiants du premier cycle. Une mesure qui, bien qu’accueillie avec un enthousiasme débordant par l étudiants, a aussi suscité nombre de questionnements quant à son financement et à son réalisme, les plus critiques craignant une démotivation des étudiants et un nivellement progressif des universités vers le bas.

« Pendant des années, personne n’a pu trouver d’argent dans le budget pour les universités. Nous, on l’a fait, malgré toutes les dépenses, les dettes, etc. Et si on regarde de près, cela ne coûte pas cher. Payer un million de dollars pour que 20 000 étudiants continuent leurs études, ce n’est rien », explique George Weah sans plus de précisions, ni sur les contours de cette gratuité, ni sur le calendrier de sa mise en œuvre. Avant d’ajouter :

« Pour juger cette mesure, il ne faut pas se contenter de la surface, il faut comprendre ce qu’elle va générer à long terme. De nos jours, beaucoup de lycéens ne vont pas à l’université car cela coûte trop cher. Or l’éducation est un droit, ce n’est pas un privilège. Nous, à notre époque, on n’a pas eu ce droit. On s’est battus pour aller à l’école, car nos parents n’avaient pas les moyens. On y allait une année et puis on s’arrêtait l’année suivante, car il n’y avait pas assez d’argent. Aujourd’hui, nous donnons à tous l’opportunité de poursuivre des études gratuitement. »

Besoin d’un « coup de pouce »

Ouvrir le champ des possibles pour les jeunes, les étudiants, les entrepreneurs, tout en comblant le retard de développement accumulé depuis l’indépendance du pays, en 1847, et aggravé par une longue guerre civile (1989-2003) et une impitoyable épidémie d’Ebola (2013-2016). Weah y croit, plus que jamais. « Je connais mes capacités, mes qualités », dit-il, tout en louant celles de son équipe gouvernementale.

Sur le terrain, les entrepreneurs attendent patiemment qu’on leur fasse enfin la passe, comme l’explique James Mulbah, 32 ans, patron de Green Cities, une start-up spécialisée dans le recyclage de déchets en tous genres. Son entreprise, qui emploie 22 personnes, est installée dans le marché de Jorkpen Town, en plein cœur de Monrovia, dont la cour est devenue au fil des années une véritable décharge improvisée.

Sacs en plastique, bouteilles, bidons d’essence, papiers… Ici, tout se transforme en règles et équerres pour écoliers, en gouttières pour la récupération du latex dans les champs d’hévéas, ou même en pavés. « C’est une activité durable et rentable, explique James Mulbah. Il y a tant de choses à faire ici. Les idées, nous les jeunes, nous les avons. Il nous manque juste ce petit coup de pouce qui peut tout changer et faire passer notre activité au niveau supérieur. »