Une médaille d’or olympique, ça vous change un peu la vie. Depuis son titre à Pyeongchang, le 11 février, Perrine Laffont a goûté à la notoriété médiatique et aux opportunités qu’elle offre. L’Ariégeoise a ainsi donné le coup d’envoi d’un match entre Lyon et Nice (« devant 50 000 personnes, ça faisait drôle »), roulé dans la voiture de rallye du Belge Thierry Neuville et pris le temps de valider sa 2e année de DUT [diplôme universitaire technologique] techniques de commercialisation. « On me reconnaît parfois dans la rue, mais pas trop ici à Paris », relativise la jeune femme, rencontrée à la sortie d’une émission sur France Inter, à la fin d’octobre. Dès le 7 décembre, la skieuse laissera les micros pour retourner à ses « bosses » avec la première manche de la Coupe du monde à Ruka (Finlande).

Vous avez été championne olympique à 19 ans. Quand on concrétise aussi jeune l’objectif de sa carrière, on peut se demander : « Qu’est-ce je peux faire de mieux derrière » ?

Arrêter après Pyeongchang ne m’a jamais traversé l’esprit. Oui, j’ai gagné les Jeux mais j’ai toujours envie de faire du ski de bosses, d’aller sur les compétitions, de voyager… Les Jeux représentent un tel niveau de stress que lorsque je suis revenue sur la Coupe du monde en mars, j’avais l’impression de skier dans une compétition régionale.

Cette saison, la chaîne L’Equipe diffusera sur la TNT les manches de la Coupe du monde. Attendez-vous beaucoup de cet éclairage sur votre discipline ?

Je pense que cela va permettre de prolonger l’effet des JO avec ma victoire. C’est cool. On a vu l’effet sur le biathlon. De mon côté, je vais partager mon quotidien, j’ai ouvert un blog vidéo sur YouTube où je montre un peu l’envers du décor à côté des compétitions. Je me filme moi-même, je mets à contribution les autres personnes de l’équipe.

VLOG 4 - LAST CAMP BEFORE THE FIRST WORLD CUPS
Durée : 04:21

Votre vie a-t-elle radicalement changé au quotidien ?

Comme je poursuis toujours mon DUT commerce à Annecy et que je m’entraîne toujours dans les Alpes à Albertville ou à Tignes, j’avais besoin de prendre un logement. J’étais un peu à la rue. J’avais mes affaires dans ma voiture et je squattais à droite et à gauche. Donc j’ai décidé de prendre un pied-à-terre ce printemps pour me poser entre deux voyages. On a acheté un appartement avec mes parents. Quand je ne suis pas là, on le met en location.

Les banques font-elles plus facilement crédit à une championne olympique ?

Ce sont mes parents qui financent, moi je n’ai pas de revenus fixes. J’ai beaucoup de partenaires qui donnent un petit peu ; ce qui fait que j’arrive à financer mes saisons. Je suis chez Rossignol depuis deux ans, mais après ma victoire aux JO, je suis passée en contrat « fringues » et plus seulement ski. Après Pyeongchang, mon image et ma notoriété ont changé. Je suis un peu devenue une « vitrine », la marque peut utiliser mon image pour communiquer.

« Notre situation est simple : pas de résultats, pas de budget. On a toujours un peu le couteau sous la gorge »

Votre titre a aussi permis de redonner une visibilité au ski de bosses en France. Les moyens ont-ils suivi ?

Notre sport en avait besoin. La dernière médaille [en bronze] remontait à 2006 avec Sandra Laoura et le dernier titre en 1992 avec Edgar Grospiron. On était de moins en moins médiatisé, on se mourait un peu dans notre coin. Cette victoire n’était pas que pour moi.

Pour cette nouvelle saison, on a pu embaucher un nouvel entraîneur, Lionel Levray. On a dû trouver des partenaires privés pour financer son embauche. On aimerait le garder pour quatre ans et les prochains JO, mais il va falloir taper à la porte chaque année pour y arriver.

En novembre, la Fédération française de ski a déterminé trois niveaux d’intervention entre les différentes disciplines afin de rationaliser ses dépenses. Le ski de bosses appartient à la 3e catégorie des « disciplines où on joue la carte individuelle ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Notre situation est simple : pas de résultats, pas de budget. On a toujours un peu le couteau sous la gorge. Déjà en 2014, le ski de bosses français était menacé. Ben Cavet termine 8e à Sotchi, moi 14e à 15 ans après une 5e place en qualification, c’était prometteur pour deux jeunes athlètes. La fédération a décidé de remettre des budgets, mais sans résultats aux Jeux de 2018, c’est sûr qu’elle nous coupe le budget.

Avez-vous suivi les débats autour de la suppression de 1 600 postes de conseillers techniques sportifs (CTS) envisagée par le gouvernement ?

Oui, forcément. Notre responsable du ski de bosses est un CTS. C’est lui qui organise tout, nos voyages, nos saisons… S’il n’est plus là, notre discipline se casse la gueule. On serait touché directement. Mon entraîneur est aussi un conseiller technique. S’il n’est plus là, comment je fais ? Cela pose un réel problème et nous touche directement. Je trouve ça étrange, surtout par rapport au Jeux de 2024 à Paris d’entendre ces annonces de budget. On parle de promotion du sport. Mais pour avoir des athlètes qui réussissent, il faut un minimum de budget, non ?

J’essaye de comprendre ce qui se décide en ce moment. Ce n’est pas évident, on touche à la politique et je n’ai pas fait d’études de droit ou d’économie.

Perrine Laffont, à Niaux en Ariège, en décembre 2017. / PASCAL PAVANI / AFP

L’autre sujet d’inquiétude, ce sont les conditions d’enneigement. Vous avez rencontré des difficultés pour vous entraîner cet automne en Europe. Avez-vous le sentiment que les conséquences du réchauffement climatique ont des répercussions sur votre quotidien ?

On est confronté directement à la fonte des glaciers. On ne peut plus s’entraîner comme auparavant. La montagne, c’est notre milieu, il nous tient à cœur. On voit les conséquences directes du réchauffement. On s’adapte en permanence. A la fin d’octobre, on était à Zermatt [en Suisse] et on skiait sur de la glace. Il a très peu neigé cet automne et ça ne nous facilite pas du tout la tâche. On est parti en Australie en août pendant trois semaines. On a eu la chance de rencontrer de superbes conditions, mais c’est nous qui devons nous payer les billets d’avion.

« Parfois, on se dit qu’on ne pourra peut-être plus skier sur une neige naturelle dans dix ans »

Etes-vous sensible à l’impact écologique de votre sport et des Jeux olympiques en particulier ?

Je connais bien le site retenu pour les JO de 2022 en Chine. On dispute une manche de la Coupe du monde là-bas depuis deux ans. Ils ont posé une station de ski sur trois collines. Il ne neige pas, ce n’est que de la neige artificielle. On va encore se retrouver avec une station amenée à mourir après la compétition, comme à Sotchi [en 2014] ou à Pyeongchang.

Quand on est arrivé à Pyeongchang, on voyait des banderoles « Games Kill Us » déployées par des paysans qui protestaient contre les conséquences de l’organisation des Jeux chez eux. Personne ne nous demande notre avis à nous les athlètes, on subit les choix politiques.

Le CIO et la Fédération internationale de ski ne tiennent pas compte de ces problèmes, selon vous ?

En 2015, je me souviens que nous étions sur la côte est des Etats-Unis pour une manche de la Coupe, nous sommes partis en Autriche pour les championnats du monde et on est reparti pour les Etats-Unis, mais côte ouest. Quand les fédérations de ski, directement concernées par le réchauffement climatique, ne prennent pas en compte leur empreinte carbone, c’est un peu désolant.

Parlez-vous de cette problématique entre skieurs et skieuses ?

Oui, parfois on se dit qu’on ne pourra peut-être plus skier sur une neige naturelle dans dix ans, que nos enfants ne connaîtront peut-être pas le ski en dehors des dômes. Ma station de Monts d’Olmes [Pyrénées] se trouve à 1 200 m d’altitude. En 2016, les pistes n’étaient pas ouvertes à la fin de décembre. Même quand j’aurai arrêté ma carrière, je serai triste de ne plus pouvoir skier chez moi pour le plaisir.

Il restera toujours des pistes couvertes…

Jamais. Que du naturel et du plein air pour moi.