La M-Sport Ford du duo Sébastien Ogier-Julien Ingrassia bondit vers la victoire le 18 novembre à Coffs Harbour (Australie). / JANUS REE / RED BULL CONTENT POOL

Dans les locaux très « co-working » du siège parisien de Red Bull, entre les tabourets faussement industriels et le baby-foot flambant neuf, Sébastien Ogier, sextuple champion du monde des rallyes (WRC) revient sur son dernier titre de champion du monde acquis de haute lutte lors du dernier rallye, le 18 novembre en Australie. De sa prochaine cohabitation avec Sébastien Loeb chez Citröen à la paternité en passant par la voiture électrique, le pilote de 34 ans se confie pour Le Monde.

La saison la plus disputée depuis vingt ans

« D’un point de vue sportif, 2018 a été une saison exceptionnelle, la plus disputée depuis une vingtaine d’années. Les fans ont apprécié. » Jusqu’à la dernière spéciale du dernier rallye, en Australie le 18 novembre, trois pilotes pouvaient prétendre au titre : le leader Sébastien Ogier ; Thierry Neuville (Hyundai) à 3 points derrière (201 contre 204 au Français) ; et Ott Tanak (Toyota).

La fin de l’aventure M-Sport Ford

« L’aventure humaine que j’ai connue avec M-Sport a été très spéciale. Je sais que j’aurai du mal à retrouver l’équivalent. »

Lorsqu’en décembre 2016, Volkswagen a pris tout le monde de court en annonçant son retrait du WRC, dommage collatéral du Diesel Gate (scandale sur les moteurs truqués de la marque allemande ayant permis de minorer leurs émissions de gaz carbonique), « cela a été compliqué ! »

Il retrouve alors in extremis un volant dans une petite écurie privée, M-Sport, dernière au classement mais portée par le fondateur Malcolm Wilson. « Un chef comme lui, il n’y en a pas deux. Il va me manquer, j’en suis conscient. »

Pourtant M-Sport comprend son départ. « Ce sont les premiers à regretter de ne pas avoir plus de soutien de Ford. D’autant qu’on vient de leur apporter deux titres, ce qu’ils n’avaient jamais eu avant, et qu’ils ont eu peut-être trop facilement. »

Le grand perdant ne serait donc pas M-Sport mais Ford « Je le pense. En tout cas, je vais tout faire pour leur faire regretter [en 2019] puisque mon but est de gagner avec ma nouvelle équipe [Citroën]. »

Boucler la boucle avec Citroën

En dépit des mauvais résultats de Citroën, dernier du classement constructeur, Sébastien Ogier – qui négocie seul ses contrats – a signé pour 2019 et 2020.

« La nouvelle direction [Pierre Budar, directeur de Citroën Racing depuis janvier] m’a convaincu. C’est un homme pragmatique. »

En tête des arguments, les qualités techniques de l’équipe et le plaisir de recréer « une équipe 100 % française. Histoire de boucler la boucle ». Et de retrouver l’écurie pour laquelle il a piloté (2009-2011), avec Sébastien Loeb, comme coéquipier et rival.

« On ne compare pas Messi et Pelé »

Sur le podium du rallye d’Espagne, à Salou le 28 octobre, les équipages Sébastien Loeb-Daniel Elena (1er), Sébastien Ogier-Julien Ingrassia (2e) et le Britannique Elfyn Evans-Dan Barritt (3e). / JJAANUS REE / RED BULL CONTENT POOL

« C’est la presse et les gens qui ont besoin de cette rivalité. » Fin 2011 pourtant, la rivalité est bien réelle. Chaque « Seb » affiche 5 victoires au compteur, pourtant Citroën favorise l’Alsacien au détriment du Gapençais.

Sébastien Ogier ne l’admet plus. « On m’a donné l’image d’un jeune arrogant, parce que je n’ai pas eu peur de m’attaquer à une légende, qui plus est française ».

Une désobéissance qui lui coûte sa place chez Citroën. Il rebondira avec succès chez Volkswagen. Mais à l’avenir, il refusera toute consigne d’écurie, par contrat.

Sept ans plus tard, Sébastien Loeb, 44 ans, réussit un improbable retour gagnant, le 28 octobre en Catalogne et devrait encore courir deux-trois rallyes en 2019.

« Pourquoi vouloir nous opposer ? C’est comme si on voulait comparer Pelé et Messi. [soupirs] Oui on a été rivaux sur le terrain. Et cette année, on a eu la chance de se tirer une bonne bourre. Mais on n’est pas du tout en guerre. » « On n’est plus dans la même course. Lui revient pour le plaisir, sans pression. Nous, on est en plein dans notre carrière. »

Mais promis, cette fois la priorité sera donnée à Sébastien Ogier, précise Pierre Budar au Monde.

Les enjeux de 2019

Remporter un 7e titre avec une 3e écurie serait inédit. « Ce n’est pas gagné ! En particulier avec Toyota, clairement un ton au-dessus dans la deuxième partie de saison. »

Débauché de Toyota, son futur coéquipier, le Finlandais Esapekka Lappi, a déjà débuté les tests sur la C3 WRC au Portugal. Sébastien Ogier l’a rejoint jusqu’au 19 décembre et la trêve familiale.

« Etre papa a changé ma vie. Cela m’a permis de relativiser mes priorités. Auparavant, le rallye occupait une place totale dans ma vie. Aujourd’hui, Kim [son fils] est devenu ma priorité. »

Gérer vie privée et réseaux sociaux

« Les réseaux sociaux sont hyperinfluents. Mais la vérité est que je n’y suis pas super-impliqué. Je n’aime pas tant que ça partager ma vie privée. De temps en temps, j’en montre un peu parce que je sais que mes fans apprécient. »

Comme en 2014, lorsqu’il épouse Andrea Kaiser, journaliste de télévision très populaire en Allemagne. Ils posteront encore quelques photos de Kim, né le 13 juin 2016. « Je n’ai pas envie que Kim s’oriente vers les sports automobiles, j’en connais les difficultés, les risques. » Quoi qu’il veuille faire, « je lui apprendrai que rien n’arrive facilement et qu’il faudra se battre. »

A l’issue de la deuxième journée de l’ultime rallye 2018, le 17 novembre à Coffs Harbour (Australie), six pilotes se tiennent en 17 secondes, dont Sébastien Ogier. / JAANUS REE / RED BULL CONTENT POOL

La victoire de Canal+

Canal+ s’est battue, aussi, pour acquérir les droits de retransmission du WRC 2019. Ce qui fait le bonheur de Red Bull, mais pas de Sébastien Ogier. « Canal a une équipe motivée, qui va faire du bon boulot, mais j’ai toujours une réticence à constater que les fans doivent payer pour suivre leur sport préféré. »

Protéger la planète

« Le cliché c’est de dire que, comme on est pilote, on n’en a rien à foutre de l’environnement. C’est faux ! Dans ma vie de tous les jours, j’essaye de protéger notre magnifique planète. » « elle est un des pollueurs, mais pas le plus grand. Elle a encore toute sa place dans notre société. »

En revanche, « l’électrique n’est pas l’avenir. C’est incroyable que l’on puisse prendre une direction [le tout électrique] si radicale, alors que l’on sait qu’il est compliqué de recycler les batteries et qu’extraire les métaux rares [nécessaires] s’avère très polluant. »

Vers le rallye hybride

« Le rallye est un peu en retard. Je suis le premier à essayer de pousser nos instances dirigeantes [vers la transition énergétique]. » « L’hybride pourrait très bien être utilisé pour les liaisons en rallye. » Citroën a d’ailleurs mis au point il y a quelques années la première voiture de rallye hybride. « Ce n’est pas simple à mettre en place mais ce n’est pas impossible. Tout est question d’envie. »