Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, le 4 décembre, à Paris. / ERIC FEFERBERG / AFP

A la veille de « l’acte IV » du mouvement des « gilets jaunes », samedi 8 décembre, journée qui s’annonce sous haute tension, Nicolas Chapuis, journaliste en charge de la rubrique « police », a répondu à vos questions sur les enjeux posés par cette mobilisation en termes de maintien de l’ordre.

Kathleen : Les forces de l’ordre ont-ils reçu l’ordre d’être plus « ferme » avec les casseurs, et les « gilets jaunes » proches des casseurs ?

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a refusé de décliner devant la presse le détail des mesures pour modifier la doctrine du maintien de l’ordre samedi 8 décembre. Il estime qu’il ne faut pas donner d’éléments aux casseurs pour s’adapter. Cependant, plusieurs sources policières nous ont indiqué qu’il y aurait une adaptation du dispositif autour de deux angles : des forces plus mobiles (l’aspect statique du dispositif avait été critiqué) et des forces plus offensives. Il pourrait donc y avoir davantage d’affrontements directs avec les casseurs, et moins d’usage de technique de dispersion ou de maintien à distance, type lacrymogène.

Sébastien : Pourquoi ne peut on pas simplement arrêté toute personne aux abords des manifestations qui auraient un casque / masque / acide / cailloux ? En prévention. Ne peut-on les considèrer comme des armes potentielles ?

La mise en place d’un barrage filtrant nécessite la mobilisation d’énormes quantités de policiers et de gendarmes. Vous ne pouvez donc sécuriser de la sorte que des périmètres restreints. C’est ce qui s’est passé samedi 1er décembre : les forces de l’ordre avait bouclé l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, sur laquelle les entrées étaient filtrées. Les casseurs se sont donc déplacés hors périmètre. Or, il y a trop de zones potentielles à sécuriser à Paris pour imaginer un dispositif efficace. Et je ne parle même pas de toutes les cibles potentielles en province.

Des policiers arrêtent des étudiants à Mantes-la-Jolie (Yvelynes), le 6 décembre. / CELINE AGNIEL / AFP

tchelloveck : Nous avons entendu parler d’un fusil d’assault dérobé par des casseurs samedi 1er décembre. Est-t-il toujours aux mains de ceux-ci ?

Oui, le fusil d’assaut n’a pas été récupéré par les forces de l’ordre.

Lumière : Quand est-il de la Fête des lumières prévue à Lyon samedi 8 décembre ?

Elle est pour le moment maintenue. Seuls des matchs de foot ont été annulés.

R. A. : Il y a eu de nombreux témoignages de débordements des forces de l’ordre ces derniers temps, certains faits étant même très grave. Le gouvernement a-t-il fait un geste pour demander aux CRS, gendarmes et policiers un peu de mesure et d’écoute ce samedi ?

Non il n’y a pas eu d’appel à lever le pied. Au contraire, même. La stratégie devrait être davantage offensive de la part des forces de l’ordre. En revanche, les policiers et gendarmes espèrent être moins en difficulté que la semaine dernière, avec cette nouvelle tactique et éviter ainsi la frustration de devoir reculer devant les casseurs ou la peur engendrée par l’isolement, qui sont parfois à l’origine, en réaction, des violences policières.

Manu : La communication faramineuse autour des moyens policiers ne risquent-elles pas de rendre certains manifestants encore plus virulents. Mettre en scène le dispositif ne risque-t-il pas de provoquer son utilité à venir ?

Ce qui est certain c’est que le ministère de l’intérieur a choisi de dramatiser très fortement sa communication, en évoquant des « scènes de guerre » samedi 1er décembre et en musclant son discours face aux casseurs. Vous évoquez le risque potentiel d’un durcissement des manifestants. Eux espèrent au contraire que cela dissuadera une partie d’entre eux de venir.

Mathi : A-t-on une idée de ce que ce dispositif implique en termes de temps de travail, de repos, etc., pour les policiers et gendarmes mobilisés ? Quelles conséquences ce type de mobilisation massive peut-il avoir sur l’état physique et moral des fonctionnaires, et in fine sur leurs pratiques ?

L’ensemble des forces de l’ordre disponibles va être mobilisé ce week-end. Ceux qui étaient en congé ou en repos ont été rappelés. Certains se sont même présentés d’eux-mêmes, pour venir en aide à leurs collègues. Ce très haut niveau de mobilisation a un coût humain évidemment. Les troupes sont très fatiguées après quatre semaines d’une mobilisation complexe à gérer, car très mobile et diffuse, avec des épisodes de violence importants. La fatigue est également morale : les familles de policiers sur le terrain se sont inquiétées très fortement après les images de samedi. La pression qu’ils subissent sur le terrain, le contrôle – justifié – de leurs actions et de leurs bavures, les menaces physiques lors des interventions… tous ces éléments font craindre à leur hiérarchie des éventuels « pétages de plomb ».

Dimanche 2 décembre, autour de la place de l’Etoile, à Paris. / JULIEN MUGUET POUR "LE MONDE"

R. Salami : Le déploiement de blindés à Paris n’est-il pas symboliquement désastreux pour le pouvoir ? Seront-ils statiques, en protections des lieux sensibles, ou mobiles ? Est-ce qu’on en sait plus sur les moyens mis en place dans les différentes régions ?

Le déploiement des blindés a en effet une portée symbolique, il dit à la fois quelque chose du haut niveau de mobilisation et il envoie également un message aux casseurs sur la détermination des forces de l’ordre. Cependant, Christophe Castaner, conscient de l’impact psychologique de ces engins, a tenu à rappeler en conférence de presse que ce n’était pas « des chars » et que ça ne signifiait pas une « mobilisation de l’armée ».

Manifestation des « gilets jaunes » à Paris, le 1er décembre. Dans l’avenue de la Grande-Armée, un camion lanceur d’eau des CRS fait face aux manifestants. / JULIEN MUGUET POUR LE MONDE

Pace : Quid en amont des gens qui appellent à entrer à l’Elysée et de la forte présence de l’ultradroite dans ces troubles ?

Les informations remontées par le renseignement territorial font état de la volonté de plusieurs groupes d’ultragauche et d’ultradroite de participer au mouvement de samedi. Selon nos informations, les forces de l’ordre estiment que ces groupes étaient déjà à la manoeuvre samedi dernier pour viser des symboles de l’Etat, comme les préfectures. L’Elysée fait évidemment partie des cibles potentielles, mais, comme Christophe Castaner l’a dit en commission des lois, les cibles et les symboles du pouvoir sont très nombreux.

heho : Quelle genre de plaintes les citoyens peuvent-ils déposer contre les forces de l’ordre et leurs responsable en cas de débordements ?

Vous pouvez faire un signalement à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), les services chargés de gérer les bavures, ou bien déposer une plainte.

Ruhr : A force de médiatiser le dispositif de sécurité pour demain, n’y a-t-il pas un risque que les « gilets jaunes » interviennent dès cette nuit, prenant ainsi de cours les forces de l’ordre ?

C’est pour cette raison que M. Castaner a refusé de donner des détails précis sur le dispositif, se contentant d’évoquer la « philosophie » générale.

lll : Y a-t-il, en droit français, la possibilité pour les décideurs de tirer sur la foule (violente ou non) ?

Il y a en droit français la notion de « légitime défense ». Si un policier estime que sa vie est mise en danger, il a le droit de faire usage de son arme. Plusieurs policiers se sont retrouvés samedi 1er décembre dans de pareilles situations. Heureusement, ils n’ont pas dégainé leur arme. Mais les instances policières sont très inquiètes.

SM : Vous dites « une stratégie beaucoup plus offensive », serait-il capable d’utilisé des armes à feu contre leur propre citoyens ?

Non, quand nous parlons de stratégie offensive, il s’agit d’une plus grande mobilité, d’une augmentation du nombre d’interpellations et d’une propension à aller davantage « au contact » des casseurs, quand la tactique observée la semaine dernière privilégiait une mise à distance ou une dispersion.

Paul : En cas de débordements majeurs (casses, violences), les forces de l’ordre ont-elle les moyens matériels de procéder à des arrestations (engorgement des commissariats, des moyens de transport, etc.) ?

Les commissariats de toute la grande couronne ont été mis en alerte pour absorber un afflux éventuel de personnes interpellées. Les autorités souhaitent que la rapidité du traitement judiciaire soit en adéquation avec la stratégie policière.