A la fin du mode classique de Super Smash Bros. Ultimate, lorsque, après sept rounds contre autant d’adversaires successifs, le générique de fin se met à défiler, ce qui était alors qu’un jeu de catch foutraque et fantaisiste se mue en épreuve de tir sur cibles. Le nom de chacun des développeurs ayant pris part au projet en devient une : à charge au joueur de balayer l’écran de salves psychédéliques de petites boulettes. Et dans un joyeux feu d’artifice final, d’arroser chacun de ces hommes de l’ombre comme s’ils n’étaient que de banales quilles dans un bowling bonus, au bout de l’allée dérobée d’un parc d’attraction sans fin.

Alors que de Quantic Dream (Detroit) à Rockstar (Red Dead Redemption 2), l’année aura été marquée par les nombreuses polémiques sur les conditions de travail éreintantes dans l’industrie du jeu vidéo, Super Smash Bros. Ultimate, sorti sur Switch vendredi 7 décembre, apporte la touche finale, celle d’un jeu qui relègue le nom des hommes et des femmes qui l’ont élaboré au rang de petits confettis. Comme si ce concentré de références existait dans un éther pur, débarrassé de toute attache au réel ; comme si le joueur ne devait jamais, ô grand jamais, sortir de l’état d’amusement hypnotique dans lequel ce jeu n’a de cesse de vouloir le plonger.

Super Smash Bros. Ultimate - Bande-annonce générale (Nintendo Switch)
Durée : 07:25

Générosité folle, envahissante, presque sacrificielle

Super Smash Bros. Ultimate (SSBU) est ainsi. Généreux, mais d’une générosité folle, envahissante, presque sacrificielle. A l’image de l’ultime présentation vidéo du titre avant sa sortie. Son emblématique chef d’orchestre, l’infatigable Masahiro Sakurai, obsessionnel du détail à la bouille éternellement juvénile et l’énergie inhumaine, confessait qu’il avait quand même, maintenant, en fait, un peu besoin de se reposer.

Comment dire la richesse de sa dernière production ? Peut-être en glosant sur son titre, Ultimate, et son concept, celui de réunir, en les additionnant, les contenus des quatre précédents épisodes de cette série populaire. Ou bien en citant un chiffre — 16 Go, sa taille en téléchargement, soit plus que le gigantesque monde ouvert de The Legend of Zelda : Breath of the Wild en 2017. Son slogan, « ils sont tous là », exprime bien l’approche cumulative vertigineuse de cet opus.

Tous les stages d’antan sont présents dans cet épisode. Cela fait beaucoup, beaucoup d’arènes. / Nintendo

Musiques, stickers, stages, personnages, menus, couleurs alternatives, voix, choix des langues, réglages, variantes, modes alternatifs, cinématiques, records… SSBU est comme la huitième couche de nappage chocolat et sucre glacé d’une pièce montée : celle à partir de laquelle on ne sait plus s’il faut continuer à goûter, compter, s’enquérir de la santé du boulanger, ou s’évanouir soi-même d’hyperglycémie.

Une recette peaufinée

Dans le fond, pourtant, le jeu de Hal Laboratory et Bandai Namco, deux partenaires privilégiés de Nintendo, n’a guère changé de recette par rapport à ses débuts. Il y est toujours questions d’arènes déjantées, hommage à des paysages de jeu vidéo célèbres, comme le château d’Hyrule dans The Legend of Zelda : Ocarina of Time, le dojo de Ryu dans Street Fighter II, ou encore les animations monochromes des Game & Watch des années 1980.

Et en leur centre, de deux à huit guerriers, à choisir parmi une liste d’une longueur indécente (pas loin de quatre-vingt, de Mario à Sonic en passant par Pac-Man, Pikachu, le chien de Duck Hunt, l’entraîneuse Wii Fit ou encore Cloud de Final Fantasy VII), qui se tatanent gaiement pour se pousser hors du ring.

Méchant de « Metroid », univers de « Zelda », et célèbre héros, Mario : « Smash Bros. » est un art des rencontres incongrues. / Nintendo

Les évolutions par rapport aux grands débuts existent. C’est principalement une double surcouche de personnages. D’un côté des protagonistes contrôlés par l’ordinateur, que l’on peut convoquer en pleine action pour bénéficier d’un coup de main, et rajouter, s’il en était encore besoin, un peu plus de chaos à l’action. De l’autre des « esprits », des stickers à collectionner à l’effigie de sous-fifres obscurs ou pointus (coucou Gros Bélixo, boss de Yoshi’s Island en 1995), qui améliorent les statistiques d’un combattant ou lui octroient des armes. Le tout nouveau mode aventure consiste d’ailleurs essentiellement à les collectionner — un des mots-clés de la série et de cet épisode en particulier, tandis que dans le détail le système des esquives (vital) a été revu.

Plus brouillon que « Towerfall »

Riche, intense, parfois ouvertement bordélique, Super Smash Bros. Ultimate n’est pourtant pas le jeu de tous ; on a vu des collègues lui préférer Mario Kart 8 Deluxe ou Towerfall sur la même console, rebutés par sa prise en main un peu molle, fatigué par ses explosions rétiniennes permanentes, ou juste perdu par les innombrables références, réglages ou coup spéciaux à l’utilisation bien spécifique.

Pourtant, dans son injonction permanente à l’amusement, Masahiro Sakurai a pris soin de réduire la frustration à sa portion la plus congrue. A l’image du mode classique, dans lequel le joueur ne perd jamais, mais voit la difficulté et son score s’ajuster à la hausse ou à la baisse selon ses performances.

« SSBU » en met plein les yeux – et parfois, il devient difficile à suivre. / Nintendo

De tout l’univers Nintendo, Smash Bros. est malgré tout à la fois la licence la plus populaire et, paradoxalement, la plus élitiste, celle du moins dans laquelle des écarts de niveau définitif peuvent le plus vite se creuser. Et à la prochaine pause déjeuner de Pixels, bien malin sera celui qui saura dire si SSBU délogera l’indélogeable Towerfall.

It’s-a me, Hadôken !

D’une manière générale, Super Smash Bros. Ultimate flotte à part dans les productions vidéoludiques de 2018. Il n’a aucune prétention à inventer quoique ce soit de nouveau, mais se sait juste meilleur que tous les autres pour noyer le joueur sous les petites attentions. Il en reste ce cadavre exquis gigantesque, qui à la manière d’un jeu de Lego surexcité, permet de voir des univers radicalement différents se rencontrer, ou parfois, se pasticher.

Le meilleur street fighter de fin d’année est dans « Smash Bros. ». / Nintendo

Longtemps, le mode « multi » nous a semblé drôle mais brouillon, et le mode « solo » riche mais poussif. Et puis on a traversé le mode « classique » avec Ryu, de Street Fighter II, et les différents personnages de Nintendo sont apparus les uns après les autres en parodie d’adversaires du célèbre combattant, avec leur thème sonore iconique en arrière-plan : Samus en tenue bleue était Chun-Li ; Metanight le chevalier masqué, Vega, et c’était drôle.

L’un des affrontements finaux n’avait toutefois plus rien à voir : il s’agissait d’affronter Créa-Main, ce personnage métaphorique classique qui, à travers un vaste gant blanc flottant, représente la part d’humain derrière la création de ce jeu. Là encore, il fallait le terrasser. Et s’imaginer Masahiro Sakurai, exsangue et symboliquement battu, content que vous soyez content.

En bref

On a aimé :

  • Gigantesque cadavre exquis de pop culture.
  • On s’est vengé de Yoshi rouge, qui nous battait à Mario Kart.
  • Avalanche quasi indécente de contenu et de clins d’œil.
  • Les réglages à gogo.
  • L’impression de passer son temps à découvrir des nouveautés.

On n’a pas aimé :

  • Souvent bordélique, voire fatigant pour les yeux.
  • Un sentiment d’approximation dans les commandes.
  • Moins précis et diabolique qu’un Towerfall.

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez grandi avec Super Smash Bros. Melee sur GameCube.
  • Vous avez des soirées à animer avec de la famille ou des amis.
  • Vous rêvez de jouer à Barbie et Ken avec la princesse Peach et Ken de Street Fighter II.
  • Vous ne diriez pas non à un juke-box de musiques de jeu vidéo célèbres.

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous cherchez un jeu calme, reposant.
  • Vous avez un terrain épileptique.
  • Vous avez joué à tous les Smash Bros. et tournez en rond.
  • Pourquoi s’éreinter les yeux quand il y a Civilization VI à côté ?

La note de Pixels

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