Le cours de la livre sterling a perdu plus d’un pourcent après l’annonce du report du vote sur le Brexit par Theresa May, lundi 10 décembre. / DANIEL SORABJI / AFP

Les courtiers en devise sont désormais suspendus aux convulsions de la Chambre des communes. En même temps que Theresa May annonçait lundi 10 décembre le report sine die du vote du Parlement britannique sur l’accord de retrait de l’Union européenne, la livre sterling chutait assez lourdement, perdant plus de 1 %.

Ce nouveau déclin fait suite à une glissade progressive depuis un mois et la monnaie britannique est désormais à son plus bas niveau depuis dix-huit mois face au dollar, à 1,25. Face à l’euro, elle retrouve l’un de ses planchers historiques, à 1,10. Face à un panier de grandes devises, la livre sterling est désormais seulement 4-5 % au-dessus du plus bas de son histoire, d’après les calculs de Nomura, une banque japonaise (les deux points les plus bas ayant été atteints après la crise financière de 2008 et la récession de 1992).

De quoi provoquer de l’humour noir chez les traders. « L’opinion est désormais divisée pour savoir qui a l’avenir le plus noir : la livre sterling en difficulté ou la première ministre britannique assiégée », lance David Lamb, patron de la division de courtage chez Fexco Corporate Payments, un spécialiste du transfert international d’argent.

« Tous les scénarios mènent à une impasse »

En prenant un peu de recul pourtant, la chute de ces derniers jours ne représente qu’un épiphénomène parmi les soubresauts qui agitent la livre sterling depuis le référendum sur le Brexit. Dans les semaines qui ont suivi le vote de juin 2016, la monnaie britannique a perdu 15 %. Depuis, elle oscille à l’intérieur d’une fourchette stable, au gré des négociations de l’interminable processus du retrait de l’Union européenne du Royaume-Uni.

« Je passe mon temps à rencontrer les clients de la banque, pour essayer de leur expliquer ce qu’il se passe au Parlement et au gouvernement »

Il n’y a guère de panique sur les marchés. Les courtiers se rassurent en regardant le long terme, se raccrochant en particulier au fait que les députés disposent d’un amendement qui leur permettra de bloquer en janvier le scénario d’un Brexit sans accord. « Le bruit politique actuel n’a guère d’importance pour le résultat final, estime Christopher Granville, de TS Lombard, une société de recherche économique. Le Parlement va rejeter l’accord de retrait de l’UE, mais il va aussi bloquer un crash hors de l’UE. »

Les obscurs déchirements entre les députés britanniques provoquent cependant une demande avide d’information des financiers sur les débats parlementaires. Ainsi, cet ancien conseiller du ministère du Brexit, embauché par une grande banque britannique, est aujourd’hui très demandé. « Je pensais avoir été embauché pour faire le lobbying de la banque auprès des députés et des ministères, mais je fais le contraire : je passe mon temps à rencontrer les clients de la banque, pour essayer de leur expliquer ce qu’il se passe au Parlement et au gouvernement », témoigne-t-il. Lui-même est pourtant le premier à le reconnaître : il ne sait pas plus que les autres quelle sera l’issue de ces débats. « Tous les scénarios mènent à une impasse. »

Dans ce brouillard, les courtiers tentent d’évaluer les probabilités des différentes issues. « Je dirais 10 % pour un crash sans accord, 20-25 % pour l’annulation du Brexit, et le reste pour un Brexit avec accord », expliquait avant le report du vote Peter Westaway, économiste en chef pour l’Europe de Vanguard, la deuxième société de gestion au monde. Cette incertitude complète, avec des résultats diamétralement opposés, rend très difficile les investissements liés au Brexit sur les marchés, conclut-il : « Le plus simple est de ne pas toucher aux actifs britanniques. » Et de laisser la livre sterling osciller au gré de cet impossible débat anglo-anglais, en attendant qu’une solution soit finalement trouvée…