Aurel

Samedi 8 décembre, vers 11 heures, Julien Coupat a vu surgir dans les rétroviseurs de sa Skoda quelques fantômes du passé. Comme l’a révélé Le Parisien, plusieurs policiers de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont arrivés à son niveau alors qu’il stationnait avenue Simon-Bolivar, dans le 19e arrondissement à Paris, où il était arrivé la veille, avant de l’interpeller lui et l’ami qui l’accompagnait.

Dans le cadre des contrôles préventifs mis en place avant les rassemblements des « gilets jaunes » prévus dans la capitale, les deux hommes ont ensuite été placés en garde à vue. La fouille du véhicule a permis, selon son avocat, Jérémie Assous, de saisir un gilet jaune, des bombes de peinture et un masque de chantier. Suffisant, selon le parquet de Paris, pour ouvrir une enquête de flagrance pour « participation à un groupement formé en vue de la commission de dégradation ou de violence » et pour renouveler sa garde à vue après vingt-quatre heures pour la même période.

L’intellectuel, figure de l’ultragauche, mis en cause dans la retentissante affaire dite « de Tarnac » avant d’être entièrement relaxé au printemps, a vu sa garde à vue levée dimanche soir et devait être présenté, lundi, au parquet aux fins de notification d’un rappel à la loi.

Reste une interrogation. M. Coupat était-il suivi par les services de renseignement depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois comme, d’après son avocat, il semble le penser ? Les policiers de la sécurité intérieure disposent-ils d’autres éléments pour le mettre en cause qu’un simple gilet jaune, des bombes de peinture et un casque de chantier ? Manifestement, non.

« Ils veulent juste se venger »

C’était aussi l’avis de son avocat, qui assure que « c’est un nouveau fiasco de la DGSI. Ils étaient convaincus qu’ils allaient enfin trouver des éléments comme des armes ou du matériel illicite, qui auraient démontré que c’est bien un activiste qui commet des actes violents. Mais leurs renseignements se sont révélés complètement faux. Ils veulent juste se venger ». Et d’ironiser : « Ce que je peux vous dire, c’est que, selon des rumeurs insistantes, Julien Coupat dissimulerait des objets contondants dans le tiroir de sa cuisine. » Contactés, ni la DGSI ni le parquet de Paris n’ont souhaité faire de commentaires.

Cette interpellation arrive dans un contexte très particulier du mouvement social des « gilets jaunes ». Dans la nébuleuse de la gauche extraparlementaire, la mouvance autour du Comité invisible – collectif anonyme auteur, entre autres, de L’Insurrection qui vient (La Fabrique, 2007) –, proche de M. Coupat, est très en pointe dans le soutien aux « gilets jaunes ». Dès le 17 novembre au soir, ils écrivaient sur la page Facebook de la revue en ligne Lundimatin : « Nous avons seulement observé. (…) Le jaune peut IRRADIER. Nous étions sceptiques, nous sommes étonnés. » Et d’appeler à « converger vers les Champs-Elysées » pour « éclairer le réel ». S’en sont suivis plusieurs articles de soutien au mouvement. Une prise de position logique : le Comité invisible a théorisé l’opposition au « pouvoir logistique » par des blocages de points stratégiques comme les « dépôts d’essence et raffineries, l’envahissement des voies ferrées… »

Après les émeutes du 1er décembre à Paris, Lundimatin a notamment publié deux articles qui ont pu, selon certains, attirer l’attention des autorités. Le premier, intitulé « Prochaine station : destitution », expliquait pourquoi « le peuple veut la chute du système ». « Ceux qui font les insurrections à moitié ne font que creuser leur propre tombeau. Au point où nous en sommes, avec les moyens de répression contemporains, soit nous renversons le système, soit c’est lui qui nous écrase. (…) La différence entre le peuple et ceux qui le gouvernent, c’est que lui n’est pas composé de crevards », pouvait-on y lire.

« Durer, avant toute chose »

L’autre, « Contribution à la rupture en cours », était une charge en règle contre l’ultragauche, l’extrême gauche et le gauchisme. Il se révélait aussi prophétique : « Nous ne sommes pas à l’abri que, ce samedi, le dispositif décidé par le ministère de l’intérieur se montre plus insidieux, évitant les conflits frontaux au profit d’interpellations ciblées – à l’allemande, pour ainsi dire – de façon à contenir la tension jusqu’à essoufflement. » Et d’appeler à un approfondissement du mouvement, au niveau local : « Viser juste, donc, mais aussi durer, avant toute chose. Paris est une émeute, mais Paris, aussi bien, est un leurre. Une vitrine spectaculaire. L’échelle du mouvement est locale. » Ce sont surtout les auteurs – « Des agents destitués du Parti imaginaire » – qui ont pu intéresser les services de renseignement. La signature n’est pas mystérieuse pour les initiés. En effet, Tiqqun, revue philosophique fondée, en 1999, entre autres par Julien Coupat, se revendiquait comme « organe conscient du Parti imaginaire ». La référence est donc transparente.

Dimanche, ne boudant « pas un tel succès d’estime », le site Lundimatin publiait un message indiquant que, « selon plusieurs sources concordantes, la DGSI seraient (sic) particulièrement remontée contre l’audience croissante » du site, assurant que « tout est prévu en cas d’arrestations ou de blocage administratif ». « Nous ne raterons pas une si belle occasion de promouvoir nos activités », promettaient-ils enfin. Aussi bien du côté de la DGSI que dans l’entourage de Julien Coupat, tout le monde semble se réjouir de retrouver ses meilleurs ennemis.