Andreas Martin, « Vue du palais de Bruxelles » (1726), Musée de la ville. Dans cet ancien parc, riches et pauvres se côtoient, des chiens s’ébattent, alors que des cerfs ne semblent pas effarouchés. Le château, lui, brûlera en 1731. / MUSÉE DE LA VILLE DE BRUXELLES/L. JEDWAB

Une passionnante exposition, « Designed Landscapes. Brussels 1775 - 2020 », présente à Bruxelles, à la Fondation CIVA, jusqu’au 31 mars 2019, l’histoire des parcs et jardins de la capitale belge. Et cette exposition invite à aller y voir de plus près, entre bois de la Cambre et parc de Laeken. Car, bien que la ville ait été, dans certains quartiers, dans les années 1970, victime d’une urbanisation... malheureuse (appellée ici la « bruxellisation »), elle n’en demeure pas moins dotée de nombreux « espaces verts ».

Si les tout premiers jardins bruxellois, attenants aux édifices religieux, avaient une fonction symbolique ou une utilité médicinale, les premiers jardins d’agrément servaient, eux, dès avant le XVIIe siècle, d’écrin aux demeures de l’aristocratie. Mais c’est à la fin du siècle suivant que naquit le projet, imprégné de la philosophie des Lumières, d’un grand parc public. Celui-ci fut aménagé à partir de 1775 à l’emplacement des ruines de l’ancien château des ducs de Brabant. C’était – c’est toujours –, dans le cœur historique de la ville, un imposant quadrilatère arboré dont les allées, tracées au cordeau, ont le dessin classique d’une patte d’oie.

Plan du parc de Bruxelles, aménagé à partir de 1775 à l’emplacement des ruines du château, détruit par l’incendie de 1731. / CIVA/BRUXELLES

L’exposition du CIVA décrit ensuite les premières extensions de la ville, avec le complexe du Jardin botanique (1826-1829), dont la rotonde et les serres abritent aujourd’hui un centre culturel, le Botanique. Avant d’aborder la seconde moitié du XIXe siècle, où Bruxelles va se doter, sous l’impulsion de Léopold II, de grands parcs, jardins et avenues plantées (dont l’actuelle avenue Louise donne imparfaitement l’idée). Cette période, particulièrement favorable au développement du commerce et de l’industrie, coïncidera avec les aménagements entrepris à Paris sous Napoléon III. Des influences ne manqueront pas de s’exercer entre Paris et Bruxelles, dont rendent compte certains projets, réalisés ou non, et dont témoigne dans l’exposition une correspondance avec un certain... ingénieur Haussmann.

La rotonde du Botanique aujourd’hui, avec ses décors de buis taillés. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Contemporains de l’achèvement des Buttes-Chaumont (1867), les aménagements du bois de la Cambre ou des Etangs d’Ixelles utilisent la technique de la rocaille. Celle-ci consiste à imiter la nature – roches, troncs ou branches – grâce à un matériau travaillé, le ciment Portland, renforcé par une armature métallique. Ces constructions, des « fabriques » de jardin, viennent ponctuer une nature en apparence libre, mais où en fait tout, de l’hydraulique jusqu’aux plantations, a été soigneusement pensé. Autre forme d’« embellissement » à laquelle ont recours les aménageurs bruxellois : la statuaire, partout présente, avec ses évocations historiques ou allégoriques, dans les espaces publics – places, jardins ou allées arborées.

Vue du parc des Etangs d’Ixelles, dont les abords ont été lotis au début du XXe siècle de beaux hôtels particuliers.. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Deux autres réalisations significatives, bien que d’échelle différente, de la toute fin du XIXe siècle, sont décrites et commentées : le parc du Cinquantenaire et le square du Petit Sablon. Le premier fut aménagé sur une surface de près de 30 hectares, dans une géométrie classique, avec des axes rectilignes et symétriques. Cet espace ordonné visait avant tout à mettre en valeur les imposants bâtiments célébrant l’anniversaire de la révolution de 1830 et le rayonnement d’une Belgique en plein essor économique.

A l’opposé de cette... grandiloquence léopoldienne, le modeste et charmant Petit Sablon évoque la Renaissance dans les anciens Pays-Bas espagnols, avec une architecture végétale de topiaires de buis, d’if ou de houx surmontée d’une très classique collection de statues historiques. Le début du XXe siècle verra, lui, l’apparition de nouvelles tendances, inspirées du Wild Garden anglais (ou « jardin sauvage »), en réaction contre le conformisme des aménagements paysagers antérieurs.

Création emblématique de René Pechère, le « jardin secret » de la propriété Van Buuren, aujourd’hui ouverte au public. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Après un bref épisode de cités-jardins et quelques incursions vers l’esthétique Art déco, la « modernité » s’impose après la seconde guerre mondiale. Elle prendra, par exemple, la forme, dans le centre historique, du jardin sur dalle du Mont des Arts, à proximité des grands musées, dû à l’architecte paysagiste René Pechère (1908-2002), qui marquera de son empreinte esthétique les décennies 1960-1970. Celui-ci interviendra à toutes sortes d’échelles, du jardin « médiéval » de la maison d’Erasme au Jardin congolais de l’Exposition internationale de 1958, avec son Atomium et ses... 42 millions de visiteurs, en passant par le réaménagement des beaux jardins de la propriété Van Buuren.

Les conséquences d’une urbanisation non maîtrisée et la place envahissante prise par la voiture participeront de la défiguration du paysage urbain bruxellois. Les préoccupations des habitants, le besoin exprimé d’embellissement de leur cadre de vie dégradé et la diversification des usages ont conduit commanditaires et paysagistes à imaginer et à innover. Plusieurs projets, du micro-chantier de quartier aux rénovations urbaines de grande ampleur, ont ainsi vu le jour, que détaille, là encore, la riche exposition du CIVA.

« Designed Landscapes. Brussels 1775-2020 », CIVA, 55, rue de l’Ermitage, 1050 Bruxelles. Du mardi au dimanche, de 10 h 30 à 18 heures (jusqu’au 31 mars 2019). Entrée : 10 € (réductions). Le 14 décembre, à 14 heures, dans les locaux du CIVA, le prix littéraire René Pechère sera attribué à deux ouvrages francophones sur les jardins et le paysage : Des jardins et des livres (sous la dir. de Michael Jakob) et Le Génie de l’arbre (de Bruno Sirven). Le jury a également tenu à saluer la revue Jardins (dirigée par l’écrivain Marco Martella).