Pendant une semaine, Le Monde s’interroge sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Ce mardi : peut-on continuer à manger autant de viande ? Posez vos questions à Adrien Zedda, chef dans un restaurant 100 % végétarien à Lyon.

Alors que la COP24 se tient en Pologne, Le Monde s’interroge toute la semaine sur les manières de lutter, à l’échelle individuelle et collective, contre le dérèglement climatique.

Mardi 11 décembre, nous nous intéressons à la question de la consommation de viande, qui est nocive pour la planète : peut-on continuer à en manger autant ? En quoi la viande est-elle néfaste pour le climat ? Est-ce dangereux pour la santé de s’en passer ? Par quoi la remplacer ? Adrien Zedda, chef cuisinier au Culina Hortus, restaurant gastronomique 100 % végétarien, à Lyon, a répondu à vos interrogations.

Jérome : M. Zedda, pourquoi ce choix d’une cuisine exclusivement végétarienne ? Vous sentez une vraie appétence chez les consommateurs ?

Tout d’abord parce qu’il y a une demande très forte dans notre autre restaurant, Victoire et Thomas. Par ailleurs j’ai testé cette cuisine végétale lors de mes expériences de chef en Australie et j’avais envie de l’importer en France. Depuis l’ouverture du restaurant, cette appétence des consommateurs se confirme : il est complet d’une semaine sur l’autre.

Gretel : Nourrir ma famille est un vrai casse-tête pour celle ou celui qui cuisine. Où trouver des plans de nutrition sérieux (pas des méthodes dogmatiques) et des recettes pour le quotidien ?

Il y a, aujourd’hui, beaucoup de magasins bio qui proposent des produits sains et identifiés, qu’on ne retrouve pas en grande distribution. Ces mêmes magasins proposent des recettes et des idées. Les paniers bio livrés par des producteurs ou des structures adaptées permettent également d’avoir des idées de cuisine avec des produits de saison.

Marc : Voyez-vous chez les chefs cuisiniers une envie de faire moins de plats avec de la viande ou du poisson ?

A ma connaissance il y en a encore peu, mais il y a de plus en plus de propositions au sein des menus pour répondre à la demande des consommateurs. On a quand même globalement un vrai retard sur cette question. Pour preuve, nous sommes le premier restaurant gastronomique et 100 % végétarien.

Amorie : Quelle est la réception par le public de ce restaurant végétarien dans une ville, Lyon, connue pour une cuisine très carnée ?

C’était très attendu. Il y avait une forte de demande d’une alternative et surtout de plats végétariens de qualité, gastronomiques. Et les retours sont exceptionnels, avec une clientèle qui n’est pas exclusivement de gens déjà végétariens. On a réussi à conquérir une clientèle qui aime la viande et le poisson, et qui ne repart pas du restaurant en ayant manqué de ces produits.

Dedrak : Quel est l’avantage du soja par rapport aux légumineuses qui peuvent être produites sur notre territoire ?

Le soja est utilisé dans beaucoup de dérivés et propositions que tous les légumineux n’offrent pas encore. Il y a des idées pour les légumineux mais c’est encore trop réduit au regard de ce qu’on peut faire aujourd’hui avec le soja : tofu, miso, sauce soja, farine de soja, lait de soja…

Olivier : Pour des raisons économiques, écologiques et éthiques, je n’achète plus de viande (ou alors exceptionnellement). Beaucoup d’œufs, de légumes secs, et tout va bien. Mais quels sont les légumes secs qui contiennent le plus de protéines ?

Le quinoa, et c’est pour cela qu’il est souvent utilisé à toutes les sauces. Le chanvre également, très bon – 26 grammes de protéines pour 100 g. Je l’utilise beaucoup en huiles, en graines… Les noix et pois chiches sont aussi pleins de protéines, tout comme les graines de chia, trop méconnues.

Je suis flexitarienne, mais je m’interroge souvent sur les produits que l’on peut utiliser pour remplacer la viande. La plupart des steaks végétaux, ainsi que le tofu, sont vendus sous emballage plastique – pas très écologique, donc. Conseillez-vous de les éviter ?

On évite les emballages et les mauvaises indications en se fournissant au maximum directement auprès des producteurs et fournisseurs. Nos fromages, par exemple, viennent de fromageries réputées (Fromagerie MOF Mons, etc.), et nous demandons qu’il y ait un minimum d’emballages lors de nos livraisons (fruits, légumes, etc., qui n’en ont pas besoin).

Nibal01 : Au Danemark, où j’habite, la législation sur la vente de produits de la ferme semble plus souple et me permet, à 30 kilomètres à la ronde, d’avoir une cinquantaine de points de vente (également avec de la viande, pour certains). Est-ce qu’on ne devrait pas faciliter et favoriser l’établissement des « fermes boutiques » partout sur le territoire, plutôt que d’aller dans un magasin bio en centre-ville ?

Cela arrive en France et se développe de plus en plus. Des producteurs se réunissent même désormais pour ouvrir leurs propres grandes surfaces. On y arrive donc, même si ça manque aux centres des grandes villes comme Lyon.

John : Est-ce que durant leur formation, les chefs apprennent des recettes végétariennes, ou bien doivent-ils apprendre sur le tas ensuite ? Je pense notamment aux restaurants où l’option végétarienne consiste à enlever la viande d’un plat ?

Dans mon cursus je n’ai jamais appris à manger végétarien ou à créer des plats adéquats. J’ai donc appris sur le tard, et avec des chefs investis dans ce mode de consommation. Cela manque beaucoup, même si j’ai bon espoir que cela change et que les écoles proposeront bientôt des recettes et des acquis sur ces pratiques nouvelles.

Florent : Au-delà de la démarche végétarienne, que pensez-vous de l’utilisation d’insectes comestibles comme sources protéiques alternatives ?

Ce n’est pas quelque chose que j’utilise car, pour moi, ça n’a pas assez de goût. En termes de protéines, c’est intéressant, mais je privilégie le goût et donc ne compte pas encore en proposer dans ma cuisine.

Safia : Manger de la viande localement produite et bio est-ce réellement moins désastreux pour l’environnement que de consommer de la viande de production massive ?

Manger localement permet de savoir ce que l’on mange et de réduire notre impact environnemental de manière évidente. Moins de transport, moins de gaz, moins de torture également pour les animaux, et davantage de responsabilisation pour tous. Si par ailleurs la production est bio, on a moins de bétail au mètre carré et davantage de qualité et de soins. Mieux vaut manger moins souvent et localement que trop souvent, pas cher mais en production massive et de la viande de mauvaise qualité.

Ralph : Pourriez-vous nous donner un ou deux exemples de bonnes recettes, faciles à faire chez soi ?

Je recommande un taboulé de chou-fleur. Epluchez le chou-fleur pour en faire de petits grains, puis assaisonnez comme un taboulé : citron, oignons, carottes, etc. On a, du coup, un plat végan, sans gluten et très facile à faire, surprenant et à la portée de tous. Pour un peu de croquant on peut ajouter des amandes.

Dima : Est-ce que le challenge n’est pas de proposer des plats végétariens « sans qu’ils s’en rendent compte » ? Que la description d’un plat soit succulente et qu’un carnivore le commande sans avoir réfléchi à la présence ou non de viande ?

C’est ce qu’on a tous les jours chez nous. On ne crée pas des plats trompe-l’œil, mais des recettes gourmandes, gastronomiques et qui surprennent par les goûts et associations de saveurs. Notre céleri laqué (ci-dessous) ressemble à un steak de thon, voire même à du foie gras poêlé.

Plat de céleri laqué du chef Adrien Zedda, chef cuisinier au Culina Hortus, à Lyon. / CULINA HORTUS

Guillaume : Comment expliquer que les restaurants végétariens, avec des produits de base peu chers, facturent au même tarif que les restaurants traditionnels ? Cela laisse l’impression qu’il s’agit d’une alimentation réservée à une classe privilégiée.

Comme tout produit, tout dépend de son origine, de son traitement et du travail du producteur ou en cuisine. Dans notre restaurant, un menu entrée, plat, dessert est à 26 euros, avec des produits d’exception. Aucune viande ni poisson mais des agrumes Bachès, du monde entier, produits en France uniquement, le seul quinoa d’Anjou produit en France, de la truffe, des herbes et des fleurs rares, des figues de M. Baud qui a trois cents variétés de figuiers dans la Drôme. Tous nos champignons sont sélectionnés avec soin et ont un prix. Enfin notre beurre, de chez Bordier, a un coût, mais surtout un goût incroyable.

Que se passerait-il si tout le monde était végan ?
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