A Strasbourg, le 11 décembre. / ABDESSLAM MIRDASS / AFP

Il était aux alentours de 20 heures quand un homme a soudainement ouvert le feu sur les passants, aux abords du marché de Noël de Strasbourg, mardi 11 décembre au soir. Selon un dernier bilan officiel donné par la préfecture du Bas-Rhin, mercredi 12 décembre à 10 heures, trois personnes ont été tuées et treize autres blessées dans cette attaque pour laquelle le parquet antiterroriste de Paris a été saisi. Une enquête préliminaire pour « assassinats, tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste criminelle », a été ouverte.

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Le déroulé des faits est encore imprécis. Mais selon les premiers éléments de l’enquête, tout a commencé lorsque l’homme armé a fait irruption, muni d’un pistolet automatique, dans le centre-ville de Strasbourg, et a commencé à tirer au niveau du quartier du Carré d’Or. Au total, il aurait fait usage de son arme à trois reprises, selon le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Notamment rue des Orfèvres, puis rue des Grandes Arcades. Parmi les blessés, on compte des hommes et des femmes. Plusieurs d’entre eux étaient toujours dans un état grave, mercredi matin.

Sur son chemin, le tireur a par deux fois croisé des forces de l’ordre, mais celles-ci n’ont pas pu le neutraliser. L’homme est d’abord tombé sur une patrouille Sentinelle du 152e régiment d’infanterie, sur laquelle il a tiré. Un militaire a été blessé à la main. Les militaires ont riposté, ce qui a fait fuir le tireur. Des échanges de tirs ont ensuite eu lieu avec une patrouille de la police nationale.

Au terme des coups de feu, l’homme a été blessé au bras. Il s’est alors enfui en s’engouffrant dans un taxi. C’est le témoignage de celui-ci qui a permis aux enquêteurs d’avancer rapidement. Le chauffeur est en effet allé au commissariat pour indiquer qu’il avait pris en charge un homme armé et blessé, et qu’il avait déposé celui-ci dans le quartier de Neudorf.

« Délinquant multirécidiviste »

Une vaste traque a débuté pour retrouver cet individu. Plus de 350 forces de l’ordre ont été mobilisées. Le ministre de l’intérieur a annoncé que la France rehaussait le niveau du plan Vigipirate en passant en « vigilance attentat ». Une disposition qui implique notamment des contrôles renforcés aux frontières. La police fédérale allemande contrôlait ainsi systématiquement, ce mercredi, quatre points de passage avec la France, à Kehl, Iffezheim, Breisach et Rheinau, engendrant près de 2 heures d’attente en moyenne pour passer. L’homme était toujours en fuite, mercredi 12 décembre au matin.

Agé de 29 ans, sorti de prison fin 2015, il était connu comme « délinquant multirécidiviste depuis son plus jeune âge », selon une source proche du dossier. Il avait notamment été condamné en Allemagne par le tribunal de Singen, dans le Bade-Wurtemberg, pour vol, puis expulsé vers la France en 2017 après avoir purgé sa peine. Il était également suivi, en France, pour radicalisation religieuse depuis plusieurs années. Considéré comme faisant partie du haut du spectre, c’est la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui assurait dernièrement ce suivi de façon « active », selon le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez.

Pour quelle raison est-il passé à l’acte ? Les enquêteurs demeuraient très prudents, mercredi matin, malgré la saisine du parquet antiterroriste. « La motivation terroriste n’est pas encore établie », a précisé M. Nuñez, sur France Inter. « Rien ne permettait de signaler dans sa vie courante un risque de passage à l’acte », a-t-il ajouté. Le 11 décembre au matin, le jeune homme devait en effet faire l’objet d’une interpellation dans le cadre d’une affaire de tentative d’homicide. Tout le reste de son équipe a été arrêtée – soit cinq personnes – mais pas lui, car il était absent de son domicile.

Cette opération a-t-elle déclenché son périple meurtrier ? Ce sont les gendarmes qui ont effectué l’intervention « en lien avec le renseignement territorial et la DGSI », selon une source proche de l’enquête. Peu de détails ont filtré sur le résultat de cette perquisition. Toutefois, mercredi matin, le geste du tueur de Strasbourg ne faisait l’objet d’aucune revendication. Parmi les nombreux témoins du drame, aucun n’a par ailleurs fait état d’une déclaration religieuse de sa part – de type « Allahou Akbar » – comme cela a été souvent le cas ces dernières années lors d’attentats terroristes.

Mardi soir, à Strasbourg, la fusillade a en tout cas pris tout le monde de cours. Parmi les témoins sur place : l’avocat et homme politique membre du parti Les Républicains, Geoffroy Didier. Il était par hasard à Strasbourg dans le cadre d’une visite au Parlement européen. « Je venais de quitter une vingtaine d’amis ainsi que le marché de Noël. Au moment où j’allais quitter ma chambre, j’ai entendu une première rafale de coups de feu. Je suis immédiatement allé à ma fenêtre qui donne sur une petite rue, les gens criaient et couraient tous dans la même direction », a-t-il raconté au Monde.

« Une nouvelle rafale de coups de feu se déclencha alors, soit seulement quelques secondes après la première. Vu le nombre de coups de feu, j’ai senti que ce devait être un attentat. J’ai immédiatement fermé le rideau, éteint la chambre, puis suis descendu à la réception pour ne pas être seul. Les gens affluaient dans l’hôtel, apeurés, pleurant, certains déclarant avoir vu le tireur et des victimes à terre. L’hôtel s’est alors barricadé, porte avant et porte arrière. Le tireur étant en liberté, nous étions tous cloîtrés, quasiment dans le noir. Le silence était total. Toute la soirée, le seul bruit était celui des hélicoptères », a-t-il aussi rapporté.

Un fief connu de radicalisation

Après l’attaque, l’accès à la ville se faisait toutefois encore normalement et un semblant de calme régnait, selon notre correspondante sur place. La circulation des transports en commun avait été interrompue et les rails du tram restaient vides. Au Sud de l’agglomération, aux abords du quartier du Neudorf, seuls les gyrophares transperçaient la nuit, les véhicules des forces de l’ordre bloquant de nombreuses voies dans l’espoir de localiser l’auteur des tirs.

A proximité du cordon de sécurité, place du Schluthfeld, dans le quartier du Neudorf, quelques personnes attendaient dans le froid. Notamment des habitants des rues adjacentes, bloqués par le cordon de sécurité. Au-dessus des têtes, un hélicoptère survolait incessamment la zone. Les quelques passants voulant traverser les voies étaient fermement invités à courir. Ceux se mettant trop à découvert étaient priés de dégager les lieux ou de raser les murs.

C’est notamment le cas d’Amir, qui sortait de son travail. Quelque peu désorienté, s’agrippant à son vélo, il n’était pas au courant du drame qui venait d’arriver. Au téléphone, sa mère ne comprenait pas qu’il ait des difficultés à rentrer. Amir a tenté un passage, mais au bout de quelques secondes, la voix forte d’un membre des forces de l’ordre a résonné dans le quartier presque désert : « Les mains en l’air, stop, arrêtez-vous ! » Il s’éloignera finalement dans les ruelles adjacentes.

Mickaël, un autre habitant, réagissait au dispositif de sécurité sur le marché de Noël. « La sécurité ne fait pas tout parce qu’on ne peut pas filtrer chaque individu, on ne s’en sortirait pas, pointait-il. Mais je n’ai pas peur d’aller sur le marché de Noël. Je continuerais d’y aller parce que j’aime ça et que ça fait partie de ma culture de chrétien. »

Le marché de Noël et la cathédrale de Strasbourg avaient déjà fait l’objet d’un projet d’attentat en 2000. Mais le groupe lié à Al-Qaida qui avait fomenté cette attaque avait été démantelé. L’un des mis en cause du dossier, le Franco-Algérien Slimane Khalfaoui, ancien d’Afghanistan condamné, en 2004, à dix ans de prison pour ces faits, se trouve actuellement dans la zone irako-syriennne. Strasbourg est aussi un fief connu de radicalisation. En 2014, une importante filière de départ vers la Syrie y a été démantelée. Parmi les jeunes de la ville partis combattre dans les rangs de l’organisation Etat islamique, se trouvait Karim Mohamed-Aggad, le frère d’un des kamikazes du Bataclan, en 2015.