Orlane Kanor a inscrit quatre buts face à la Suède, mais raté le tir de la gagne. / LOIC VENANCE / AFP

« Courir, sauter, tirer. » Ce n’est pas le titre d’un nouveau roman d’Elizabeth Gilbert, mais les termes employés par Alexandra Lacrabère pour décrire sa jeune camarade, Orlane Kanor, sur un terrain. Alors que l’équipe de France féminine de handball peinait, dimanche 9 décembre, à tromper la vigilance des Suédoises, la jeune arrière gauche a inscrit deux buts dans les dernières minutes (quatre dans la rencontre), permettant aux Bleues d’accrocher un match nul presque inespéré (21-21). Une performance « décisive », selon Olivier Krumbholz, qui l’avait lancée voici un an dans le grand bassin bleu.

A 21 ans, Orlane Kanor n’en finit plus de monter. Littéralement, d’abord. Car la bondissante gamine des Abymes (Guadeloupe) semble équipée de ressorts. S’appuyant sur des qualités physiques exceptionnelle, la jeune femme, qui a débuté le handball à 13 ans, est capable de s’envoler au dessus des défenses avant d’armer son tir, à la manière d’un Daniel Narcisse chez les hommes. Elle est, selon la Fédération européenne de handball, « la joueuse qui saute le plus haut à l’Euro ».

Son jaillissement, plein de culot, avait fait mouche en finale du Mondial 2017. Professionnelle depuis peu, Orlane Kanor avait signé deux buts décisifs permettant d’apporter aux Bleues leur deuxième étoile.

A l’heure d’affronter la Serbie pour le dernier match du tour principal de l’Euro (mercredi, 21 heures, à Nantes) pouvant qualifier son équipe pour les demi-finales de la compétition continentale, la jeune femme ploie sous une pluie d’éloges. « Ce serait mentir de dire qu’elle ne saute pas aux yeux », soupèse Emmanuel Mayonnade, son entraîneur à Metz. « Aucune autre fille ne joue comme Orlane Kanor », complète sa partenaire Grâce Zaadi.

« Je connais mon rôle, je sais très bien ce qu’Olivier attend de moi, expliquait la joueuse rencontrée avant l’entame de l’Euro. J’ai des capacités de débordements et de tir de loin, et je dois arriver à les exploiter. »  Si elle a moins brillé lors des démonstrations françaises contre la Slovénie, le Monténégro et le Danemark, la jeune femme a maintenu à flots le navire bleu pris dans les bourrasques russes et suédoises.

Sa progression constante n’étonne pas l’entraîneur français, qui s’appuie sur Kanor pour varier le jeu offensif de son équipe. « C’est l’archétype de la joueuse exceptionnelle. » Plus que par ses statistiques – ses 14 buts inscrits sont à des années-lumière de la meilleure marqueuse de l’Euro, la Serbe Katarina Krpez-Slezak (45 but) –, l’effet Kanor s’observe à la manière de jouer des Bleues quand elle est sur le terrain.

Prônant « la continuité dans le jeu », la recherche de décalages et exhortant ses joueuses à « ne pas porter la balle » trop longtemps, Olivier Krumbholz vire de bord lorsqu’il aligne sa canonnière. « On a clairement deux formes de jeu actuellement : l’une avec Orlane et l’autre sans, reconnaît l’entraîneur français. On doit la mettre en position de tir pour qu’elle prenne ses responsabilités, ce qu’elle fait très bien. Mais quand Orlane n’est pas sur le terrain, on serait bien avisées de faire preuve de continuité et de patience. »

« Orlane, dès qu’elle exploite ses qualités, ça fonctionne, met en avant Alexandra Lacrabère. Pour le moment, il ne faut pas qu’elle fasse autre chose, et c’est à nous les cadres à la mettre dans de bonnes situations. » Et le système est rodé. Quelques secondes après son entrée en jeu face à la Suède, Kanor s’élevait au dessus de la mêlée pour inscrire son premier but du match. « C’est grâce à mes coéquipières, savourait la jeune femme après le match. Elles ont mis en place le mouvement que j’aime le plus, ont fait de bons blocs... je ne peux que shooter dans pareilles conditions. »

Manque de « vice »

« L’explosion » de la jeune Messine dans la compétition a conduit le sélectionneur français à modifier son effectif (deux changements sont permis par tour). Après la rencontre contre la Suède, Olivier Krumbholz a choisi de faire sortir la jeune Kalidiatou Niakaté (23 ans) du groupe pour faire revenir la championne du monde Gnonsiane Niombla, dont « les qualités sont plus complémentaires vis-à-vis d’Orlane ».

Autre signe de la confiance de l’équipe en son jeune arrière-gauche, c’est pour elle qu’a été dessiné le dernier système face à la Suède. A égalité (21-21) et alors que s’égrénaient les ultimes secondes, la France avait l’occasion de l’emporter après avoir couru après la marque tout le match. « C’était prévu que je prenne le tir. Pas que je fasse un hors-cadre », a regretté la Guadeloupéenne, consciente du chemin qu’il lui reste à parcourir.

Car ses tirs en boulet de canon ne doivent pas masquer le fait qu’Orlane Kanor est une jeune joueuse encore en développement. Elle qui a débuté son sport avec pour seul bagage « [s]on jump », poursuit son apprentissage en élargissant sa palette technique et tactique. Et commet des erreurs, comme ses deux expulsions temporaires en fin de match contre la Suède qui auraient pu coûter cher aux Bleues.

Des erreurs de jeunesse, pour Alexandra Lacrabère. « Si elle ne s’excuse pas, l’arbitre ne voit pas l’action, souligne l’expérimentée Paloise. On va lui expliquer qu’il faut avoir un peu de vice dans ce monde de requins. » « C’est clair, je n’ai pas de vice. C’est comme ça, je suis trop honnête, apparemment », a souri Kanor.

Ses deux buts à la fin de la finale du Mondial 2017 avaient placé la comète des Abymes sur orbite. « Frustrée » d’avoir raté le tir de la gagne dimanche, Orlane Kanor entend poursuivre sur sa lancée pour aider son équipe à atteindre le dernier carré. Les Serbes sont prévenues, elles devraient la voir « courir, sauter, tirer ».