On le savait prêt à fondre sur une pépite du CAC40. Le fonds activiste Elliott a finalement jeté son dévolu sur le groupe de spiritueux Pernod Ricard. L’offensive a été dévoilée mercredi 12 décembre. Elliott, qui affirme détenir 2,5 % du groupe familial français après avoir déboursé un montant estimé à près de un milliard d’euros, a décidé de lancer son attaque sur la place publique.

Dans un communiqué, le fonds affirme que « Pernod représente une des opportunités d’investissement les plus intéressantes du secteur des spiritueux, possédant un portefeuille exceptionnel de marques internationales de premier plan ». Mais, comme toujours avec les activistes, les compliments n’ont qu’un temps. Le cocktail de leur analyse est une potion plus amère. Une thèse élaborée avec le soutien du Français Alain Minc.

S’ensuit donc la liste des griefs. Les analystes d’Elliott se sont livrés à un comparatif avec les pairs de Pernod Ricard en retenant pour l’exercice le leader mondial du secteur, le britannique Diageo, considéré comme le modèle à suivre. Selon ce référentiel, « la marge opérationnelle de Pernod Ricard est de 5 points inférieure à celle de Diageo ». Pour Elliott, « les plans successifs mis en place par la société afin d’améliorer la performance opérationnelle ne sont pas parvenus à générer de levier opérationnel ». Sachant que la marge opérationnelle du groupe français est, à 26 %, plus proche de celle des groupes de luxe que de celle de l’industrie agroalimentaire…

Des techniques de combat actionnarial bien rodées

Le fonds estime également que l’entreprise dirigée par Alexandre Ricard, petit-fils de son fondateur, a perdu des parts de marché dans de nombreux segments comme la vodka, le whisky nord-américain ou le gin. Il pointe aussi du doigt l’acquisition d’Absolut pour 6 milliards d’euros. Une opération qu’il qualifie d’une « des pires de l’histoire ». Même s’il reconnaît que le timing était malchanceux, l’opération ayant été menée en 2008, juste avant la crise financière.

ThyssenKrupp, Akzo Nobel… La route du fonds Elliott est pavée de patrons évincés pour avoir tenté de lui résister.

Enfin, dans le collimateur d’Elliott, la gouvernance et la culture de Pernod Ricard. Le fonds estime que la famille Ricard pèse plus au conseil d’administration qu’elle ne devrait vu son poids actionnarial. Elle détient aujourd’hui 15 % du capital et 20 % des droits de vote. La culture de Pernod Ricard, très décentralisée, très « insulaire », est dénoncée comme n’étant pas compatible avec les enjeux d’une multinationale.

Les représentants du fonds activiste ont rencontré Alexandre Ricard courant novembre et lui ont exposé leurs vues. Ils demandent « un plan d’amélioration opérationnelle plus ambitieux et l’alignement de la gouvernance d’entreprise avec les meilleures pratiques du marché ».

En rendant publique sa position, Elliott souhaite maintenant la faire connaître aux actionnaires de Pernod Ricard et tente de les rallier, franchissant une nouvelle étape dans sa bataille. Des techniques de combat actionnarial bien rodées. D’autant que le fonds Elliott – créé par Paul Singer, grand donateur du Parti républicain de Donald Trump, et qui gère 35 milliards de dollars (30 milliards d’euros) – a la réputation d’être le plus procédurier, le plus tenace et le plus agressif.

Des résultats annuels solides

Sa route est pavée de patrons évincés après avoir tenté de lui résister. Aux Etats-Unis comme en Europe. A l’exemple de Heinrich Hiesinger, président du directoire du conglomérat allemand ThyssenKrupp, contraint à la démission en juillet 2018. Un an plus tôt, le directeur général et la directrice financière du chimiste néerlandais Akzo Nobel, Ton Buechner et Maëlys Castella, étaient mis hors jeu pour « raison de santé ». Elliott a aussi pris les commandes de Telecom Italia à son premier actionnaire, Vivendi.

La pression est donc forte sur Alexandre Ricard. Même si, trois ans après son arrivée à la tête du deuxième groupe de spiritueux mondial, il a présenté, fin août, des résultats annuels solides : un chiffre d’affaires de 8,98 milliards d’euros, en croissance de 6 % à taux de change constant, mais quasi stable en tenant compte de la volatilité des monnaies. L’endettement a également baissé, une priorité pour le PDG, soucieux de retrouver une marge de manœuvre après une période d’acquisitions à marche forcée.

Son résultat net a, quant à lui, progressé de 13 %, à 1,57 milliard d’euros. De quoi augmenter la part versée aux actionnaires sous forme de dividende. Des actionnaires qui ont aussi bénéficié d’un parcours boursier très enviable. En trois ans, depuis l’arrivée d’Alexandre Ricard aux manettes, l’action Pernod Ricard s’est appréciée de près de 45 %. Mercredi 12 décembre, après l’annonce d’Elliott au marché, le titre s’appréciait de plus de 3 %, à 146 euros.