Emmanuel Macron interrompt précipitamment une réunion avec les députés de la majorité mardi 11 décembre au soir après l’annonce d’une fusillade à Strasbourg. / ETIENNE LAURENT / POOL / AFP

« J’ai beaucoup pensé à vous ces dernières semaines. » Posté derrière un pupitre installé sous la tente qui remplace la salle des fêtes de l’Elysée pendant ses travaux, Emmanuel Macron a reçu les parlementaires de la majorité, mardi 11 décembre au soir. Un rendez-vous très important en pleine crise des « gilets jaunes ».

Avant de s’éclipser après une heure à cause de l’attaque à Strasbourg, le chef de l’Etat avait eu le temps de préciser le sens de ses annonces de la veille et de répondre aux questions et aux angoisses des députés et des sénateurs de La République en marche (LRM). « Depuis un mois, les parlementaires étaient en première ligne sur le terrain. Certains ont subi ce conflit jusque dans leur vie personnelle », explique le député des Français de l’étranger, Pieyre-Alexandre Anglade.

Mardi, à l’Assemblée nationale, pendant les questions au gouvernement, les « marcheurs » ont réservé une standing-ovation à leur collègue de Dordogne, Jacqueline Dubois, dont les deux véhicules ont été incendiés durant le week-end. Vendredi, un autre, Benoît Potterie, a reçu par courrier une balle en guise de menace de mort. Dans ce contexte, certains avaient besoin de « calinothérapie », selon le mot de plusieurs élus. Les mots de M. Macron étaient donc très attendus par sa majorité. « Les 300 députés se sont engagés avec lui avant la campagne. Ils ont une histoire avec lui », rappelle M. Anglade.

Colère

La dernière fois qu’ils l’avaient vu, une autre cise enflammait la Macronie. Le 24 juillet, le président de la République était apparu par surprise à la Maison de l’Amérique latine où les députés LRM fêtaient la fin de la session parlementaire. C’était en pleine affaire Benalla. « Qu’ils viennent me chercher », avait lancé le chef de l’Etat ce soir-là dans une intervention savamment mise en scène et diffusée. Une phrase restée dans les mémoires des « gilets jaunes » qui s’y réfèrent régulièrement.

En juillet, les députés étaient ressortis remobilisés de cette soirée avec le président avec qui ils avaient multiplié les selfies. Quelques mois plus tard, l’ambiance est toute autre. Le chef de l’Etat cristallise la colère. « Beaucoup de la défiance qui s’exprime auprès des parlementaires est en fait dirigée vers le président de la République », raconte l’un d’eux.

Devant eux, Emmanuel Macron a une nouvelle fois reconnu qu’il avait commis « des petites phrases », « des maladresses » qui ont crispé les Français. « Si ça part de travers, c’est ma faute, je dois faire ce travail sur moi-même », a-t-il dit face aux parlementaires. Cela fait plusieurs mois que les élus LRM entendent sur le terrain l’irritation de certains Français contre les sorties du président de la République. Ils en informent l’exécutif. Et beaucoup estiment qu’ils ne sont pas suffisamment écoutés.

Thérapie collective

Mardi matin, à l’Assemblée nationale, la réunion de groupe hebdomadaire a ainsi viré à la séance de thérapie collective. « On a senti que la pression était retombée », relate un participant. « Ça a gueulé de toutes parts », résume un autre. Plusieurs élus macronistes ont souligné que le groupe majoritaire devait être davantage considéré par l’exécutif. « Il a été souligné qu’on a envoyé des signaux d’alerte et que cela n’a pas été écouté », explique un député LRM, précisant que seul le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Marc Fesneau, était présent parmi les membres du gouvernement.

Autre motif de crispation soulevé par les membres de la majorité : le fait que le président de la République ait reçu vendredi une quinzaine de maires des Yvelines, la plupart membre du parti Les Républicains. « Macron reçoit en amont des maires de droite sans avoir consulté les députés de la majorité, qui pourtant étaient en première ligne », peste un pilier de la majorité. Les parlementaires ont, en outre, tiqué quand, lundi soir, le chef de l’Etat a confié une partie des rênes de la concertation à venir aux maires, alors qu’ils voulaient eux aussi y prendre une large part.

Mais surtout, les députés ont appris avec stupeur, lundi soir, les mesures décidées par Emmanuel Macron. Certains ont mal digéré l’annonce du recul sur la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2 000 euros. Une mesure phare de la campagne qu’ils ont défendue contre vents et marées depuis un an. « Moi, j’y crois à la solidarité intergénérationnelle ! », regrette un élu. « N’ayons jamais le moindre regret de ce qui a été fait », les a exhortés le chef de l’Etat mardi soir. Le président devait passer parmi les députés pour des échanges informels, il a finalement dû écourter la réunion pour suivre les événements de Strasbourg. Selon un participant, l’heure passée avec lui a suffi à panser une partie des plaies des élus : « C’est presque physique. Dès qu’ils le voient ça redescend. »