L’avis du « Monde » – pourquoi pas

En 2004, on découvrait en France, deux ans après sa sortie nationale, le long-métrage d’animation d’un jeune Argentin de 34 ans, Juan Antin, ­intitulé Mercano le Martien. Film absurde, antimondialiste, vigoureusement bricolé, à l’humour noir séditieux. Un alien débarquait sur Terre pour se venger de la mort de son chien, écrasé sur sa planète par un engin terrestre. Mercano trouvait domicile dans les égouts de Buenos Aires et s’y confrontait à l’impitoyable cupidité régnant céans.

De l’eau a depuis coulé sous les ponts, et l’on retrouve aujourd’hui Juan Antin à la tête de cette coproduction européenne qu’il aura mis plus de dix années à mettre sur pied, avec le soutien décisif des producteurs Didier et Damien Brunner (Folivari). Le film nous entraîne du côté de la cordillère des Andes, dans la civilisation pré-colombienne. Là, un village reculé vit paisiblement dans la dévotion à Pachamama, la Terre mère, quand l’intendant de la cour inca, non content d’épuiser en impôt la récolte des villageois, vole pour le trésor de son souverain, fils du dieu Soleil, une idole en or – ce que ces modestes paysans ont de plus précieux dans leur relation chamanique à la divinité.

Couleurs et enchantement

Tepulpaï et Naïra, deux jeunes adolescents antagonistes (le garçon est prétentieux et intrépide, la fille prudente et pleine de sagesse), partent aussitôt à la poursuite des agents du roi jusqu’à la cour du Grand Inca, dans un mouvement de révolte irrépressible et spontané, qui n’est pas sans évoquer celui de nos « gilets jaunes ». Long et mouvementé périple au terme duquel ils reviennent à leur village en possession de la statuette, mais avec les terrifiants conquistadors, pilleurs fraîchement débarqués et destructeurs du royaume inca, à leurs trousses.

Antiaméricain par son esthétique, anti-impérialiste par son propos, écologique et respectueux des traditions autochtones, en un mot du côté des Indiens d’Amérique plutôt que de leurs conquérants, Pachamama est un film qui se veut à la fois divertissant et pédagogique. Non moins stylisé et antinaturaliste que peut l’être Spider-Man : New Generation, son fort redoutable concurrent de Noël, il joue moins sur les volutes baroques et la frénésie spatio-temporelle qui caractérisent ce dernier que sur l’abstraction géométrique et l’inspiration contemplative qui inspira l’art précolombien.

Le film est antiaméricain par son esthétique, anti-impérialiste par son propos, écologique et respectueux des traditions autochtones

Tout ici est couleurs, vibrations, enchantement d’un monde dont chaque élément est symboli­quement relié à son tout. Bleu ­turquoise, vert tendre, orange, pourpre et violet composent une féerie du spectre, rehaussée par l’or précieux du royaume inca, ­refroidie par le vil métal des ­conquistadors dont l’armure mange les visages. Du côté de la bande sonore, on trouve un travail musical élaboré et une attention fine aux sons naturels.

Viennent ce faisant à l’esprit deux références du monde de l’animation. Les Cités d’or, série d’animation franco-japonaise diffusée dans les années 1980 à la télévision française, et Kirikou et la sorcière, premier long-métrage de Michel Ocelot, réalisé en 1998. Le premier pour la découverte de la civilisation indienne, la recherche des cités d’or, la présence du grand condor. Le second pour le primitivisme esthétique et la célébration de la différence. Les deux partageant de surcroît la même conception d’une fable ­vécue du point de vue des enfants et l’œuvre comme le récit d’un voyage initiatique. On regrettera néanmoins, tout en gardant à l’esprit que le film est manifestement destiné aux très jeunes espoirs du public de cinéma, le dénuement du récit et des personnages, subordonnés à la primauté d’un message dont ils sont les ­instruments.

PACHAMAMA - Bande annonce
Durée : 01:21

Film d’animation français de Juan Antin (1 h 12). Sur le Web : www.hautetcourt.com/film/fiche/332/pachamama#