L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Si le concept de plasticité caractérise les super-­héros, Spider-Man, l’homme-araignée, en est la quintessence. Ce qui est vrai de sa nature l’est aussi de ses multiples déclinaisons, dignes d’un des personnages les plus populaires du nouvel Olympe américain. Côté grand écran, Sony, qui a acheté les droits d’exploitation cinématographique du super-héros à la société Marvel en 1999, mène la danse depuis 2002, avec la légendaire trilogie signée par Sam Raimi et le craquant Tobey Maguire dans le rôle-titre. Deux reboots (remise à zéro des compteurs) plus tard, et l’on compte déjà six films et trois acteurs pour illustrer les charmes de l’adolescent arachnéen.

Le rapprochement du studio Marvel racheté par le studio Disney, qui aimerait bien réintégrer Spider-Man dans sa super-­escarcelle, et de Sony qui ne veut pas pour autant lâcher l’araignée aux œufs d’or, pousse à une modernisation du héros, dans l’esprit de la ligne éditoriale ultimate développée depuis 2000 dans la bande dessinée. En situant les héros dans des univers parallèles, il s’agit essentiellement ici de les remettre au goût du jour et, au besoin, de leur inventer de nouveaux avatars.

Banc d’essai du Spider-Man métissé

Spider-Man : Homecoming (2017), de Jon Watts, dernière mouture cinématographique en date avec l’acteur britannique Tom Holland, allait clairement dans cette direction avec son côté pop, ludique, irrévérencieux. Sony n’aura pourtant pas été jusqu’à égaler l’audace multiculturaliste de l’Ultimate Spider-Man créé sur papier par Brian Michael Bendis, qui décrétait, en 2011, la mort de ­Peter Parker et sa résurrection sous les traits de Miles Morales, un adolescent hispano-afro-américain de Brooklyn, également piqué par une bestiole et encore plus doué que son modèle. Mais ce que la multinationale nipponne s’est refusée à faire en prises de vues réelles, elle se le permet aujourd’hui en dessin animé. Ce contexte permet de situer plus finement l’enjeu du film.

Lire la critique de « Spider-Man : Homecoming » : L’homme-araignée s’accroche

Outre celui, classique, de ­conquérir un public plus familial pour Noël, s’ajoute donc, peut-être, une sorte de banc d’essai du Spider-Man métissé, qui tâterait prudemment le terrain de la diversité après le méga-succès de Black Panther. A moins qu’il ne s’agisse d’un dédouanement ponctuel d’Amy Pascal, ex-directrice de Sony et auteure à ce poste de mails un peu embarrassants sur Barack Obama mais toujours à la manœuvre aujourd’hui comme coproductrice de la saga Spider-Man. En tout état de cause, New Generation s’avère une réussite sur tous ces tableaux. Miles Morales, ado cool de Brooklyn issu d’une mère latino et d’un père afro-américain, s’y fait à son tour piquer par une araignée mutante pour aussitôt être happé dans une nouvelle aventure super-héroïque faussement complexe mais vraiment abracadabrante.

Distanciation et humour

Le Caïd, armoire à glace microcéphale qui ne s’est jamais remis de la mort de sa femme et de son fils dont il tient Spider-Man pour responsable, tire ici les ficelles du mal, secondé par une escouade de malfaisants tels que le flatulent Bouffon vert, le tenta­culaire Docteur Octopus et l’ultra-vif Rôdeur. L’idée est de mettre en branle un « synchroton » qui ressuscite la famille du psychopathe éploré, lequel a aussi pour effet immédiat de libérer les univers parallèles de Spider-Man lui-même.

Une amusante trouvaille scénaristique consiste à faire coagir plusieurs versions historiques de Spider-Man

Cette trame alambiquée recèle une amusante trouvaille scénaristique, qui consiste à faire coagir plusieurs versions historiques de Spider-Man, des plus sérieuses aux plus baroques, de l’originel Peter Parker devenu bedonnant à Spider-Man noir (version années 1930), en passant par Spider-Ham (un porcelet), Penny Parker (une fillette manga) ou­­­ ­Spider-Gwen (la première petite amie assassinée du héros).

La réussite du film tient à plusieurs raisons. Le retour aux sources esthétiques des comics tout d’abord, grâce à un graphisme qui en rappelle la liberté psychédélique et l’explosivité narrative. La distanciation et l’humour qui en résulte. Ceci sur fond d’un rendu finement réaliste du timing, de la colorimétrie et de la pulsation de Brooklyn. Le tableau confine au pop art : reproduction sérielle du héros, hétérogénéité du matériau artistique, critique mimétique de la société consumériste. New ­Generation serait-il le premier film warholien de la saga ?

Spider-Man : New Generation - Bande-annonce 2 - VF
Durée : 02:26

Film d’animation américain de Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman (1 h 50). Sur le Web : www.facebook.com/SpiderManNewGeneration.LeFilm et www.intothespiderverse.movie