Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, le 10 décembre, à l’Elysée. / LUDOVIC MARIN / AFP

Editorial du « Monde ». Alors que la France est plongée dans une crise sociale d’une ampleur inédite depuis cinquante ans, 5,2 millions de fonctionnaires étaient appelés à voter, du 29 novembre au 6 décembre. Si, par rapport à 2014, la participation (49,8 %) a connu une nouvelle baisse de trois points, le paysage syndical dans les trois fonctions publiques – Etat, territoriale, hospitalière – est resté globalement stable, et le scrutin a débouché, à bas bruit, sur une révolution. La CFDT, qui avait déjà ravi, en mars 2017, la première place sur l’échiquier syndical dans le secteur privé à la CGT, est désormais en haut du podium toutes catégories. Secteurs privé et public confondus, la centrale de Laurent Berger a gagné son pari : elle est le premier syndicat français.

Un tel résultat peut paraître paradoxal, car, à première vue, la CGT ne s’en sort pas si mal. Certes, après le revers qu’elle avait subi en 2014 où, en pleine crise interne, elle avait reculé de 2,3 points, elle connaît un nouveau fléchissement (de 1,3 point), mais, sur l’ensemble des trois fonctions publiques, elle reste en tête, avec 21,8 %, terminant en première position dans la territoriale (28,8 %) et dans l’hospitalière (31,6 %).

Force ouvrière tire son épingle du jeu, alors que le séisme qui a conduit à la démission de son secrétaire général, Pascal Pavageau, lui faisait craindre de nouveaux déboires dans les urnes. Troisième sur l’ensemble, avec 18,1 % (– 0,5 point), FO sauvegarde sa première place dans la fonction publique d’Etat, avec 17,1 %, et détrône la CFDT dans l’hospitalière en lui ravissant, avec 24,8 %, le second rang.

Affaiblissement continu de la CGT

La CFDT a donc gagné ses galons de première centrale syndicale – un autre syndicat réformiste, l’UNSA, enregistre une percée de 0,9 point qui lui permet, avec 11,2 %, de conforter sa quatrième place pour les trois fonctions publiques – mais cette victoire est due moins à elle-même qu’à ses concurrents. C’est l’affaiblissement continu de la CGT qui produit cette révolution sur l’échiquier syndical.

Pour arriver à un tel résultat, il suffisait que l’avance de la centrale de Philippe Martinez sur sa rivale réformiste diminue de 20 000 voix. Le seuil a été largement dépassé, et l’écart s’est réduit de 35 000 voix.

Laurent Berger a salué un événement « historique ». La référence à 1895 – année de la création de la CGT – n’a aucun sens puisqu’il n’y avait alors qu’un syndicat et pas de mesure de représentativité. Cela n’en est pas moins un succès indéniable pour un syndicat qui se réclame de la transformation sociale et développe une démarche pragmatique, ouverte aux compromis et à la recherche de résultats concrets pour les salariés.

C’est aussi une nouvelle défaite pour la ligne incarnée par M. Martinez à la tête de la CGT. Son orientation radicale le conduit à multiplier des journées d’action qui se soldent toutes par des échecs. Et elle ne le met même pas à l’abri, lors du prochain congrès, en mai 2019, à Dijon, des critiques de ses opposants, qui lui reprochent d’être trop mou.

Dans la crise des « gilets jaunes », les syndicats sont apparus totalement hors jeu. M. Berger a incarné une position responsable, soutenant certaines revendications des contestataires sans jamais mettre de l’huile sur le feu. A l’heure où Emmanuel Macron prétend changer sa pratique verticale du pouvoir et renouer avec les corps intermédiaires, il aurait tout intérêt à ne pas laisser dans un coin le premier syndicat français.