L’avis du « Monde » – on peut éviter

Début décembre, Netflix mettait à disposition de ses abonnés 22 July, long-métrage du cinéaste britannique Paul Greengrass sur le double attentat perpétré, en 2011, par l’ultranationaliste d’extrême droite Anders Behring Breivik à Oslo et Utoya, en Norvège. Cette même tragédie arrive aujourd’hui en salle, sous la forme d’un autre film, Utoya, 22 juillet, du réalisateur norvégien Erik Poppe. Deux projets entièrement opposés, tant dans la démarche poursuivie que dans la forme adoptée : l’un ayant été soumis à un parti pris de distanciation et de discernement, l’autre à celui de l’immersion et de l’émotion.

A l’inverse de 22 July, qui concentre son regard sur « l’après » (le procès de Behring Breivik) plutôt que sur les faits eux-mêmes, Utoya, 22 juillet nous y plonge de plain-pied, en collant la caméra aux semelles d’une victime du camp des militants travaillistes, Kaja (interprétée par Andrea Berntzen), qui tente d’échapper au meurtrier. Et ce durant un seul et long plan-séquence de soixante-douze minutes, qui correspond à la durée réelle du massacre.

Toute forme de pensée annihilée

Là où Paul Greengrass avait pour ambition de conduire à une réflexion sur la montée des extrémismes, Erik Poppe a pour préoccupation de faire éprouver la terreur ressentie par les jeunes de l’île d’Utoya pendant l’attaque, qui fit soixante-neuf morts et des dizaines de blessés. Le geste spectaculaire du plan-séquence qui l’accompagne atteint son but : il nous place physiquement, en temps réel, au centre de l’horreur et en communique les effets, comme si nous y étions.

Lire la critique de « 22 July » : Ce 22 juillet 2011, en Norvège…

Les discussions anodines et les blagues bon enfant animent le camp d’Utoya quand retentissent les premiers coups de feu, dont certains pensent qu’il doit s’agir de pétards. Aux premiers signes de panique, Kaja et son petit groupe d’amis marquent un temps d’arrêt, avant de commencer leur course. La caméra portée, désormais tout près de la jeune fille, va suivre ses moindres mouvements, figés et tremblants dans la terre et la glaise, en accélération dans les échappées à travers les arbres. Hors champ, les détonations se succèdent, s’interrompent, reprennent. Dans le cadre, la respiration de Kaja s’en fait l’écho, haletante, suspendue, relancée.

Au final, il n’est pas grand-chose à retenir de cette plongée horrifique

Utoya, 22 juillet contraint le spectateur à cette peur au point d’annihiler toute autre forme de pensée. A ce titre, le procédé prouve son efficacité. Il pose aussi les limites du film en le réduisant à une expérience sensitive à courte portée. Au final, il n’est pas grand-chose à retenir de cette plongée horrifique, dont la lecture aurait mérité un point de vue susceptible de pouvoir élever le film au-dessus de l’exploit technique. Tel que s’y est employé notamment le cinéaste américain Gus Van Sant dans Elephant, long-métrage qui fut couronné de la Palme d’or du Festival de Cannes, en 2003. Un film sur la fusillade aux Etats-Unis, en 1999, du lycée Columbine (Colorado), où la force du sujet s’accorde à une esthétique puissante et qui, lui, ne s’efface pas des mémoires.

TRAILER // UTØYA, 22 JUILLET - Au cinéma le 12 décembre 2018
Durée : 01:52

Film norvégien d’Erik Poppe. Avec Andrea Berntzen, Elli Rhiannon Müller Osbourne, Aleksander Holmen (1 h 33). Sur le Web : www.potemkine.fr/Potemkine-film/Utoya-22-juillet-utoya-22-juillet/pa61m4f334.html