Près de 3 000 particuliers ont recours quotidiennement à l’eusko, la monnaie locale du Pays basque, ainsi que 792 professionnels et commerçants. / Gaizka Iroz / AFP

« L’école, le maraîcher, le boulanger, le coiffeur, le carreleur, le garage, le restau, et, bien sûr, les tournées au café des Pyrénées… » Pour ses menues dépenses, Dante Edme-Sanjurjo ne se pose plus la question : il règle tout en eusko. En billets ou par carte. La monnaie locale du Pays basque, qu’il a co-fondée et dont il gère aujourd’hui le développement, est devenue en cinq ans, la première devise complémentaire d’Europe. Près de 3 000 particuliers y ont recours quotidiennement, comme 792 professionnels et commerçants. Même la mairie de Bayonne l’a récemment intégrée à son système de paiement.

Il n’est pas rare, dans les rues de la ville, d’apercevoir, collé aux portes ou aux devantures des magasins, l’encadré vert, rouge et blanc qui signale son utilisation. D’après le dernier décompte, 1 033 213, 82 euskos (une unité valant un euro) circulent aujourd’hui de poche en poche. Un succès qui a permis « d’entraîner dans la transition vers une économie durable, les circuits courts et la relocalisation, des gens qui n’en souciaient pas vraiment auparavant », selon Dante Edme-Sanjurjo.

Car l’eusko est l’une des pièces maîtresses de l’écosystème alternatif qui a fleuri ces dix dernières années entre la côte Atlantique et la Soule (Pyrénées-Atlantiques). Comme le festival Alternatiba, qui réunit depuis 2013 des milliers de personnes à Bayonne (près de 15 000 cette année), la monnaie a été « incubée » au sein d’un mouvement dont le nom sonne pour beaucoup comme un cri de ralliement : Bizi ! (libre, en Basque), créé en 2009 dans la foulée du sommet de Copenhague sur le changement climatique.

Souci d’efficacité

Reconnaissables à leurs tee-shirts verts et à leurs actions coup de poing, ses militants (590 aujourd’hui) se sont fait connaître en « fauchant » des chaises dans les banques accusées de favoriser l’évasion fiscale ou en bloquant un sommet sur l’exploitation pétrolière offshore à Pau en 2016. On les retrouve également dans l’orbite ou même parties prenantes d’une foultitude de structures, de la chambre d’agriculture alternative Laborantza Ganbara près de Saint-Jean-Pied-de-Port au producteur d’énergies renouvelables I-Ener, en passant par l’atelier bayonnais de réparation de vélos Txirrind’Ola. Des initiatives conçues pour favoriser le brassage entre générations et classes sociales, la côte et l’intérieur, les paysans et les urbains.

Empruntant à Act Up son souci d’efficacité, Bizi ! se distingue de bon nombre d’associations par la rigueur « quasi militaire » de son organisation. « Face à l’urgence climatique, justifient ses militants, les incantations ne servent à rien ». « J’ai des enfants, un travail… Je ne peux pas passer mon temps en réunion. Celles qu’on a tous les quinze jours avec la Koordinaketa (la coordination) ne durent jamais plus de deux heures. Les temps de parole sont minutés. Les décisions prises appliquées », explique David Lannes, chercheur en mathématiques au CNRS et spécialiste du mouvement des vagues.

La méthode de l’association, qui mêle activisme et travail de fonds sur les dossiers, a notamment permis d’accoucher d’une « boîte à outils » pour la transition écologique, reprise par une trentaine de mairies du Pays basque. Le document décline en cinquante fiches autant de propositions concrètes touchant l’urbanisme, les mobilités ou la commande publique. « Maintenant, on attend la mise en place du plan climat », confie Iban Grossier, militant et fonctionnaire territorial. Un projet mis à l’étude par la communauté d’agglomération fin septembre.

L’attachement que tous décrivent pour ce territoire marqué par des années de lutte violente pour l’autonomie, joue un rôle essentiel de catalyseur. Identité et écologie se nourrissent. Une fusion incarnée tout entière par Txetx (prononcer tchètche) Etcheverry, syndicaliste de 53 ans, et figure de proue de Bizi !. L’homme qui distribue les « Adio ! » dans son « quartier prolo » du petit Bayonne a fait ses classes au sein du mouvement politique et culturel « abertzale » avant de prendre conscience que le climat était « la mère de toutes les batailles ». « Notre réussite, estime-t-il, ça a été de construire un rapport de force qui lie toujours les questions sociales et les enjeux climatiques. » Parce qu’« un système économique qui a besoin, pour survivre, de croître de manière illimitée, ne tient pas la route dans un monde qui ne l’est pas. Et que, si on ne fait rien, ce sont les pauvres qui morflent à la fin ».

Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine

Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.

Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :