« Vivre dans la Ville Lumière implique parfois de s’éclairer à la bougie », résume avec poésie Victor, étudiant en master de droit des affaires. Depuis son arrivée à Paris en septembre 2018, dans une université de la rive gauche réputée pour son excellence en droit, l’étudiant de 23 ans, qui a grandi à La Rochelle, dit être encore « abasourdi » par les difficultés à se loger et à vivre sans « frustrations ».

« C’est toujours compliqué de dire non aux concerts, aux séances de cinéma, de se dire qu’on en profite trop dès qu’on boit un deuxième verre, de regarder les autres rentrer en Uber quand on rentre à pied. Il y a toujours ce sentiment de n’être pas vraiment à sa place. » Pour « survivre » à Paris, Victor a dû emprunter plusieurs milliers d’euros afin de payer sa chambre de 17 mètres carrés (800 euros mensuels) porte de Montreuil, dans une résidence étudiante privée.

322 000 étudiants à Paris

Ils sont une quarantaine, comme lui, à avoir répondu à un appel à témoignages lancé par Le Monde qui leur demandait de raconter leur arrivée à Paris. Ils ont grandi à Grenoble, Caen, Rouen, Nice, Rennes, Lyon, Dijon, Narbonne, Toulouse, Nice, « dans un petit village » en Alsace, ou à Châteauroux, puis ils sont venus étudier à Paris, attirés par une ville objet de tous les fantasmes, ou simplement par leur choix d’études.

Paris, la Ville Lumière décriée pour sa grisaille, ses loyers prohibitifs, ses habitants réputés peu amènes, continue d’aimanter la jeunesse française et internationale. Aujourd’hui, 322 000 étudiants y suivent des études supérieures : un Parisien sur dix est étudiant. Entre 1999 et 2012, le nombre d’étudiants a progressé de 25 %, quand la population générale a augmenté de 9 % à Paris, selon une étude de l’APUR (atelier parisien d’urbanisme) sur les étudiants dans la métropole du Grand Paris, publiée en 2016.

« La capitale attire toujours les meilleurs chercheurs et les étudiants de toute la France. Il n’y a pas de désamour », confirme Marie-Christine Lemardeley, adjointe de la maire de Paris Anne Hidalgo, chargée de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la vie étudiante. « Nous notons même depuis plusieurs années un mouvement de retour des étudiants dans les centres-villes. C’est une tendance qui se retrouve dans d’autres pays européens et d’autres villes universitaires comme Cambridge ou Zurich. Nous voulons accompagner ce mouvement », ajoute-t-elle.

Le logement, le cœur du problème

Paris a brillé, quatre années durant, en première place du classement des « meilleures villes étudiantes » du cabinet Quacquarelli Symonds, puis a brutalement chuté en 2017. Une chute entraînée par la modification d’un critère : la perception de la qualité de vie. Pour les étudiants provinciaux, comme les internationaux, la première perte d’illusion, c’est, sans doute, la recherche d’un logement, dans un marché des studios et des petites surfaces saturé par la demande.

Les boursiers de l’enseignement supérieur peuvent avoir accès à un parc de 7 300 logements étudiants à Paris intramuros et 20 500 en Ile-de-France par le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Mais là aussi, les places sont chères car la demande dépasse largement l’offre.

« Je me nourris essentiellement de pâtes, de riz et d’œufs », affirme Dorian, étudiant en master

« Je vis avec une bourse du Crous de 550 euros par mois. J’en paye 430 pour mon logement étudiant dans le 13e arrondissement et 75 euros par mois de transport en commun, donc si on fait le calcul, le 5 du mois je suis déjà dans le rouge. Je me nourris essentiellement de pâtes, de riz et d’œufs », explique Dorian, étudiant en master de linguistique à l’EPHE venu de Toulouse, qui a décidé de se consacrer à la recherche et à l’écriture de son mémoire, sans avoir de « petit boulot à côté ».

Pour d’autres, il suffit d’un critère pour que les portes du Crous se ferment. « Je suis boursier échelon 6 (environ 470 euros par mois) avec une mère au smic. Je n’avais d’autre choix que l’alternance, donc pas accès aux logements du Crous. Heureusement, ma sœur fonctionnaire a pu se porter garante », raconte cet ancien étudiant en alternance de l’université Dauphine.

Déclassement social et nouveaux codes

La situation est aussi tendue pour les enfants de la classe moyenne, « pas assez pauvres pour accéder au Crous et pas assez riches pour se loger dans le privé », comme le dit Théo, 28 ans. Un sentiment de déclassement social, voire de décalage, touche ces étudiants. « J’ai la chance d’avoir des parents qui me donnent le nécessaire pour vivre de manière correcte. Pour autant, je me suis rendu compte de la différence de niveau de vie à salaire égal entre Paris et la province. Les Parisiens ont une vision faussée de la province et de la réalité de la France concernant le niveau de vie », estime Margaux, 19 ans, étudiante, originaire de Dijon.

Cette sensation est accentuée pour ceux qui sont inscrits dans les filières élitistes ou sélectives. Comme Victor, qui préfère ne rien dire de ses vacances quand ses camarades de promo racontent leur dernier séjour au ski. « Le plus dur, c’est cette impression constante que Paris est une ville où cohabitent des étudiants les plus aisés ou les plus aidés, qui peuvent se permettre d’apprécier la vie dans la capitale, tandis que d’autres subissent la vie chère et se sentent frustrés de ne toucher à la vie parisienne qu’avec les yeux. Il vaut mieux faire profil bas, et ne pas donner une image trop négative de soi si l’on veut entrer dans ce monde-là », estime Victor.

« Il y a une violence symbolique dans ces interactions sociales. Que font alors ces étudiants ? Est-ce qu’ils s’adaptent et construisent de nouvelles façons d’être, ou est-ce que cela constitue un facteur d’échec scolaire ? Comment cette confrontation à des groupes sociaux dominants est gérée pour celles et ceux qui ont grandi dans un autre milieu social, et qui ont été protégés un temps de cette violence ? », s’interroge Leila Frouillou, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-Nanterre qui a travaillé sur les mobilités étudiantes entre la banlieue et Paris.

« On m’a fait remarquer que je parlais trop fort pour une fille. J’ai été choquée par cette remarque, qui montre le peu de tolérance pour la différence », se souvient Julie, niçoise, après deux ans à Paris

Classes moyennes et classes modestes se retrouvent sur un sentiment d’« étrangeté » dans une ville où les codes sociaux sont particulièrement importants – en particulier dans certaines filières prestigieuses où règne un « entre-soi social ». L’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, qui a bien voulu communiquer sur les profils de ses étudiants, compte une majorité d’enfants des classes supérieures (64 %, contre 7 % d’ouvriers et 20 % employés) en première année de licence.

Pour certains, la prise de conscience est rude. « J’étais stressée parce que seule et pas à ma place dans cette ville immense. Personne ne m’a tendu la main », se souvient Julie, étudiante niçoise qui a passé deux ans en classe prépa dans un lycée du 3e arrondissement. Elle se souvient avec amertume des remarques de Parisiens sur son accent du Sud, sa gestuelle, ou son euphorie. « On m’a fait remarquer que je parlais trop fort pour une fille. J’ai été choquée par cette remarque, qui montre le peu de tolérance pour la différence. En fait, je n’avais pas les clés pour me faire accepter », raconte cette fille de professeurs de lettres qui est « rentrée » poursuivre ses études à l’université de Nice Sophia-Antipolis.

Des préjugés sur les provinciaux

Les préjugés et les représentations sur les « provinciaux » sont tenaces – comme ceux sur les Parisiens. Camille, originaire de Rouen, préférait prendre le train deux fois par jour pour rentrer chez elle. « Je me levais à 5 heures, prenais le train à 6 h 30 et arrivais à Paris à 8 heures. J’étais vue par les Parisiens comme celle qui vivait parmi les vaches. Rouen, les vaches ? Parce qu’on n’est pas parisien, on est forcément campagnard ? »

Pour d’autres au contraire, Paris s’est transformée en opportunité. « Il ne m’a jamais été aussi simple de rencontrer des étrangers, d’aller dans les musées. C’est une richesse humaine qui ne se quantifie pas », souligne de son côté Margaux. Pour les étudiants qui ont témoigné en cette fin d’année 2018, Paris restera le symbole d’un moment de leur vie : celui du passage à l’âge adulte.