Lila (Gaia Girace) et Elena (Margherita Mazzucco), adolescentes dans la série « L’Amie prodigieuse ». / EDUARDO CASTALDO / FREMANTLE

Canal+, jeudi 13 décembre à 21 heures, série

L’auteure qui se dissimule sous le pseudonyme d’Elena Ferrante préserve son anonymat. Très probablement femme, née à Naples (Italie) et aujourd’hui septuagénaire, elle est pourtant à l’origine d’un phénomène d’édition grâce à sa tétralogie romanesque L’Amie prodigieuse, traduite dans des dizaines de langues et objet de ferveur à l’international.

Elena Ferrante n’a participé que par courriel à l’adaptation en série télévisée du premier des quatre tomes, relisant et ­annotant l’adaptation due aux scénaristes Francesco Piccolo (Habemus Papam), Laura Paolucci (productrice déléguée de ­Gomorra) et Saverio Costanzo (La Solitude des nombres premiers, Hungry Hearts). Ce dernier a réalisé l’ensemble de cette première saison produite par la chaîne américaine HBO et la RAI, le groupe audiovisuel public italien.

Au fil de quelque soixante ans, ce roman en quatre volets enregistre les oscillations de l’intense amitié entre deux gamines, Elena dite « Lenù », et Raffaella appelée « Lila », au début des années 1950. Les deux petites filles sont nées au sein d’un quartier périphérique de Naples, sclérosé par les luttes de pouvoir entre communistes et mafieux, par l’extrême pauvreté et les injustices, par le sexisme et le patriarcat.

Comme le livre, la série commence avec l’appel en pleine nuit d’un jeune homme paniqué, Rino, sur le portable d’Elena, alors sexagénaire : depuis deux semaines, la mère de Rino, Lila, a disparu. Ou, plus précisément, s’est effacée. Délibérément. En allant jusqu’à découper son image sur les photos de la maison.

Au bout du fil, Elena tance le jeune homme (« Ne la cherche pas, apprends à vivre tout seul ! »), s’attable devant son ordinateur, dans son bureau aux livres impeccablement alignés, et écrit : « Tu as toujours exagéré, Lila. Quand on était petites, et à présent qu’on est vieilles. Non seulement tu veux disparaître à 60 ans, mais aussi effacer la vie que tu laisses derrière toi. Je t’avais promis de ne pas le faire, mais je suis en colère. Alors, je vais écrire ton histoire. (…) Cette fois, j’irai jusqu’au bout. On verra qui gagnera. » Commence alors le récit de l’enfance et de l’adolescence des deux amies, qu’Elena va retracer dans la première saison de cette adaptation télévisée.

Margherita Mazzucco interprète Elena adolescente. / EDUARDO CASTALDO / FREMANTLE

Leur union fera leur force

A leur arrivée au cours préparatoire pour filles, Elena (Elisa Del Genio) se montre une élève exemplaire, polie voire docile, précise et soigneuse. On la montre en exemple. Jusqu’à ce que Lila (Ludovica Nasti), ébouriffée et indisciplinée, voire intrépide, s’avère plus brillante qu’elle, ayant appris à lire seule et manifestant une impressionnante soif d’apprendre. « Je me sentais attirée par cette mauvaise fille, alors que tous la fuyaient », se souvient Elena.

Le lien qui va se nouer entre ­elles ne sera pas seulement le fruit de deux natures qui s’attirent. Car toutes deux auront vite la prescience que leur union fera leur force. Dans leur monde de misère où les filles sont destinées à entretenir la maisonnée, où toute ambition doit s’envoler avec la fin de l’école primaire, leur grande intelligence ne leur sert qu’à pressentir le sort de ménagères en détresse, celui de leurs mères, qui leur est réservé.

Dans un quartier saturé de rapports de ­domination et de violence, les deux filles, ensemble, tenteront d’obtenir plus que le simple droit de se soumettre à tout et à tous. De s’inventer une vie à elles. En apprenant par cœur, en ­cachette, Les Quatre Filles du ­docteur March, pour se former à l’art d’écrire un livre, ou en s’armant mutuellement de courage pour tenter d’imposer à leur ­famille le droit de passer dans le secondaire.

La série, tournée en napolitain et en italien, rappelle inévitablement les meilleures heures du cinéma néoréaliste italien

Les deux jeunes interprètes de Lila et Elena enfants, époustouflantes de sobriété et de justesse, laisseront plus tard place à deux nouvelles actrices plus matures (Gaia Girace et Margherita Mazzucco) pour clore le chapitre d’une adolescence tourmentée entre adoration et jalousie.

Depuis le générique très soigné de cette série jusqu’à sa terrible image finale, ce n’est pas seulement le cours tendre et houleux d’une amitié féminine au fil d’une décennie, mais bien un univers entier, auquel metteur en scène, chef opérateur, décorateurs et acteurs ont magnifiquement donné vie.

Bien que s’appuyant souvent inutilement sur la voix off de l’Elena de 60 ans, L’Amie prodigieuse, tournée en dialecte napolitain et en italien, rappelle inévitablement les meilleures heures du cinéma néoréaliste italien. Une nouvelle saison est d’ores et déjà commandée, basée sur le deuxième ouvrage de cette tétralogie, Le Nouveau Nom.

L'amie prodigieuse - Bande annonce - CANAL+
Durée : 01:59

« L’Amie prodigieuse », série créée par Elena Ferrante, Francesco Piccolo, Laura Paolucci et Saverio Costanzo. Avec Margherita Mazzucco, Gaia Girace, Elisa Del Genio, Ludovica Nasti (Italie et Etats-Unis, 2018, 8 x 52 minutes). Disponible sur MyCanal.