Editorial du « Monde ». On s’en souvient : voilà six ans, en septembre 2012, l’étude du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur à l’université de Caen, déclenchait une extraordinaire inquiétude et une vive controverse. Plusieurs semaines durant, les médias et l’opinion furent captivés par les photographies de rongeurs déformés par d’énormes tumeurs, prétendument infligées par la consommation d’un maïs transgénique et/ou de l’herbicide auquel il était rendu tolérant.

Ni les critiques de la plus grande partie de la communauté scientifique compétente sur ces sujets ni le simple rappel du fait que les Européens ne consomment pas de ces fameux OGM, en raison de l’étiquetage imposé par le droit de l’Union, ne parvinrent à calmer l’inquiétude. En l’espace de quelques jours, l’affaire était entendue : il fallait avoir peur des OGM, ces redoutables toxiques.

Un consortium de chercheurs français libres de liens d’intérêts et appartenant tous ou presque à des instituts de recherche publics viennent d’apporter un convaincant démenti à cette idée. Leur travail, publié le 10 décembre dans la revue Toxicological Sciences, montre au contraire que, en elles-mêmes, les constructions génétiques apportées à deux maïs modifiés n’altèrent ni la santé ni même le métabolisme des animaux de laboratoire qui les ont consommés pendant six mois.

Défiance considérable

Cette nouvelle publication, la première à explorer aussi rigoureusement la question, rectifiera-t-elle l’idée erronée qui a pris racine dans l’opinion ? Sans doute pas et, à l’évidence, les médias ont leur responsabilité dans cette situation. Mais l’emballement qui a suivi la publication de M. Séralini dit aussi quelque chose de la défiance considérable qui s’est installée entre l’opinion et le monde de l’expertise réglementaire.

Amiante, Mediator, Dépakine, perturbateurs endocriniens, pesticides et tout dernièrement dispositifs médicaux implantables : ces dernières années, les exemples se sont accumulés, suggérant que les pouvoirs publics ne peuvent lutter contre l’influence des industriels. Et, en définitive, que leur volonté de préserver la santé publique est bien souvent mise en balance avec celle de préserver l’activité économique.

Cette suspicion doit être nuancée, mais il est aujourd’hui indéniable que certaines béances réglementaires commencent à avoir des incidences lourdes sur la santé et l’environnement : érosion accélérée de la biodiversité due au maintien sur le marché de pesticides dangereux, effondrement de la fertilité humaine au cours des quarante dernières années, augmentation de certaines maladies chroniques…

Processus démocratique vertueux

La réponse à apporter n’est sans doute pas le financement, au coup par coup, de nouvelles études ponctuelles. Elle tient plutôt à une réforme de l’expertise sanitaire et environnementale. C’est ce que l’Union est en train de mettre en place. L’adoption par le Parlement européen, le 11 décembre, d’un projet de refonte du système d’expertise communautaire vers plus de transparence, d’indépendance et d’intégrité devrait permettre, sur le long terme, de restaurer la confiance dans les autorités sanitaires. Mais aussi, et surtout, de rendre celles-ci plus efficaces dans leurs missions.

Au passage, la réforme en cours au niveau européen témoigne aussi d’un processus démocratique vertueux, permis par les institutions communautaires : elle est née d’une « initiative citoyenne » signée par plus d’un million d’Européens, relayée par la Commission et adoptée par le Parlement.