Alain Juppé, le 14 septembre. / GEORGES GOBET / AFP

La nuit est tombée depuis longtemps à Bordeaux, mercredi soir, quand les porte-parole de certains groupes de « gilets jaunes » de Gironde se réunissent à l’Athénée municipal pour rencontrer Alain Juppé, qu’ils ont sollicité la veille. « Nous avons reçu un e-mail qui demandait qu’une rencontre soit organisée. Nous l’avons tout de suite acceptée, c’est une volonté d’Alain Juppé d’échanger avec les gilets jaunes », explique le cabinet du maire bordelais.

A peine installé dans la salle, Franck Bonhomme, 55 ans, l’un des porte-parole, interpelle Alain Juppé sur ses dernières déclarations qui appelaient au calme après des manifestations particulièrement violentes dans sa ville, samedi 8 décembre. « Lorsque vous dites qu’appeler à manifester, c’est déclencher la venue des casseurs, cela peut créer un raccourci dangereux », lui lance le « gilet jaune ». Alain Juppé rétorque que « le droit de manifester est un droit fondamental dans notre démocratie et dans notre République ».

Le ton est donné : ce sera celui du dialogue, plutôt cordial, pour réfléchir ensemble à une sortie de crise, et surtout éviter de nouveaux débordements lors du rassemblement prévu samedi 15 décembre. Christine, « gilet jaune » de Sainte-Eulalie, prend à son tour la parole : « Nous-mêmes, ces violences, on ne les maîtrise pas. C’est un mouvement populaire, il faut voir ensemble comment on peut s’entendre pour essayer d’éviter ce carnage. »

Un itinéraire sécurisé

L’idée évoquée est de mettre en place un circuit plus sécurisé du cortège, qui suivrait la place de la Bourse, le cours Victor-Hugo, République, Gambetta, puis le jardin public pour un retour place de la Bourse. Mais Christine précise que « personne ne prendra la responsabilité d’organiser ça. Nous sommes que quelques militants mais nous ne représentons pas la majorité » des « gilets jaunes », ce que déplore Alain Juppé. Le maire s’engage à faire part de la proposition d’un itinéraire au préfet de la Gironde, Didier Lallement, mais à deux conditions : « Qu’il y ait une délégation de certains d’entre vous pour s’engager vis-à-vis du préfet, et qu’il soit d’accord », précise l’ancien premier ministre.

Tout au long de l’heure et demie de discussions, la trentaine de « gilets jaunes » présents ont également échangé autour des mesures proposées lundi 10 décembre par Emmanuel Macron, comme l’augmentation de 100 euros du revenu des personnes payées au smic, ou la suppression de la hausse de la CSG pour les retraités dont les ressources imposables sont inférieures à 2 000 euros. Une véritable ouverture pour Alain Juppé, des annonces insuffisantes pour les « gilets jaunes » en face de lui. Eux réclament toujours, par exemple, la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne (dit « RIC »), comme de nombreux manifestants sur le terrain. « Je suis gaulliste, alors, le référendum, ça me plaît bien », sourit le maire de Bordeaux, tout en ne cachant pas sa perplexité sur la faisabilité de cette revendication.

A l’issue de cette rencontre, Alain Juppé dit comprendre les souffrances exprimées par le mouvement des « gilets jaunes », car les inégalités se sont « profondément creusées en France ces dernières années ». Mais il met en garde : « Le message que j’ai voulu faire passer, c’est que je n’ai pas envie, ni pour nous ni pour eux, que se reproduise ce qu’il s’est passé dans Bordeaux ces deux derniers samedis ». De son côté, Franck Bonhomme se félicite de « l’écoute » du maire qui « est quand même un acteur de l’ancien système », mais prévient, lui aussi : « De toute façon, samedi [15 décembre] on sera présents, de manière pacifique. »

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