Des partisans de l’opposition participent à une manifestation appelant à la démission du président Faure Gnassingbé, à Lomé, au Togo, le 20 septembre 2017. / REUTERS

Au Togo, depuis plus de cinquante ans se joue une même pièce dont l’acteur principal porte invariablement le patronyme Gnassingbé. Les élections législatives prévues le 20 décembre en sont un nouvel acte, qui, une fois de plus, menace de dégénérer en violences et porte en lui les germes de nouvelles crises.

Les résultats de ces élections n’auront au fond que peu d’intérêt. Ce scrutin promet en effet d’offrir au pouvoir une très large majorité depuis que les principaux partis d’opposition ont décidé de ne pas participer à des « élections suspectes, organisées avec une CENI [Commission électorale nationale indépendante] monocolore et un fichier électoral vicié » et de relancer le mouvement de protestation populaire pour arrêter le processus.

Les invectives sont de retour

Les manifestations n’ont, jusqu’ici, pas atteint l’ampleur de celles qui avaient rythmé l’année 2017, mais les ressorts de la mobilisation demeurent les mêmes, tout comme les capacités répressives du régime. Depuis l’ouverture de la campagne le 4 décembre, six personnes ont été tuées à Lomé, la capitale, et à Sokodé, dans le nord du pays, selon la coalition de l’opposition C-14, quatre selon le gouvernement.

Des dignitaires religieux ont plaidé pour un report au nom « du bien commun et de l’intérêt supérieur de la nation togolaise », mais le pouvoir refuse, considérant comme le ministre Gilbert Bawara que « l’opposition est dans une logique macabre, faisant tout pour provoquer un bain de sang afin d’attirer l’attention de la communauté internationale ».

Les invectives sont de retour dans les propos de celui qui a conduit la délégation gouvernementale lors des négociations comme dans ceux des opposants. Le dialogue ouvert en février – le 27e depuis l’indépendance – sous la médiation des présidents guinéen, Alpha Condé, et ghanéen, Nana Akufo-Addo, mandatés par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), avait pourtant laissé entrevoir une possibilité de sortie de crise.

Fin juillet, l’organisation sous-régionale avait soumis aux parties togolaises une feuille de route prévoyant notamment une accélération des procédures pour libérer les personnes arrêtées lors des manifestations, une révision du fichier électoral, une recomposition paritaire du bureau de la CENI, une élection présidentielle à deux tours et une limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Depuis, se joue une bataille d’interprétations où chaque camp assure avoir fait toutes les concessions nécessaires, sur fond de médiation absente.

« Des conditions carnavalesques »

« Le pouvoir devait libérer 44 prisonniers mais, depuis le début de la campagne, une centaine d’autres personnes ont été arrêtées », dénonce Brigitte Adjamagbo-Johnson, la coordinatrice du C-14. « Nous avons procédé à trois vagues de libération, mais certains des manifestants se sont livrés à des voies de fait et la feuille de route n’a jamais demandé la suspension de la justice togolaise », rétorque Toba Tanama, le directeur de l’information et de la communication à la présidence.

« Sur la CENI, le pouvoir a fini par céder sur la composition paritaire mais, avant cela, il avait déjà terminé le recensement des électeurs organisé dans des conditions carnavalesques », renchérit Brigitte Adjamagbo-Johnson, assurant notamment que « des élèves de primaires ont été sortis de leur classe pour être enregistrés sur les listes. » Conclusion du ministre Gilbert Bawara : « La coalition de l’opposition n’a jamais eu de volonté sérieuse d’aller aux élections et de résoudre la crise. »

Les deux parties refusent de l’admettre, prétextant ne pas vouloir se limiter à « des débats de personne » ou jurant « travailler à la fondation de bases démocratiques ». Mais le nœud de la crise porte en réalité sur une question simple : le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, pourra-t-il concourir à l’élection présidentielle de 2020 et prolonger ainsi le règne familial sur ce pays ? Si opposition et pouvoir s’accordent pour que la nouvelle Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, ceux-ci s’affrontent sur la rétroactivité ou non de la mesure, un point qui n’a rien d’anecdotique.

Une exception en Afrique de l’Ouest

Depuis son accession au pouvoir dans le sang en 2005 – selon les Nations unies, « entre 400 et 500 » personnes furent tuées au Togo entre le décès de son père Gnassingbé Eyadéma, le 5 février 2005, et son entrée en fonction trois mois plus tard –, l’héritier du clan a été réélu deux fois, en 2010 et 2015. S’il n’a pas la brutalité du militaire qu’était son père, Faure Gnassingbé, 52 ans, ne montre aucune velléité de retraite politique. Et dans l’esprit des membres de son entourage qui ont promu la réforme constitutionnelle en cours, il n’était nullement question de favoriser une alternance politique. S’il venait à être réélu en 2020 puis en 2025, l’actuel président aurait alors dirigé le Togo pendant 25 ans. Son père pendant 38 ans. Une exception dans une Afrique de l’Ouest qui s’est peu à peu libérée des présidents à vie, mais qui ne fait pas de lui un paria.

Si, d’après un diplomate de la région, ses relations sont mauvaises avec ses homologues nigérian et béninois, « le président togolais n’a pas grand-chose à craindre de la Cédéao. Nana Akufo-Addo [le président ghanéen], qui accueille des opposants, ne veut pas se retrouver accusé de collusion avec ceux-ci et Alpha Condé [le président guinéen] ne va pas faire pression sur Faure Gnassingbé quand lui-même tente de se présenter à un troisième mandat en 2020. »