Un radar de vitesse neutralisé par un film noir, sur une route près de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 30 novembre. / NICOLAS TUCAT / AFP

Dans le Puy-de-Dôme, un « gilet jaune » a pris vingt-quatre heures d’avance sur la nouvelle journée de mobilisation du samedi 17 novembre, celui qui emmaillote le radar d’une quatre-voies à l’entrée de Clermont-Ferrand. En trois semaines, le département semble avoir fait sécession. Selon le quotidien régional La Montagne, vingt et un des vingt-deux appareils que compte le département étaient hors service le 5 décembre. Depuis, c’est le statu quo. Le seul « survivant » de l’hécatombe est encore en place.

Les appareils automatiques de contrôle de la vitesse ont été érigés « en symbole du racket de l’Etat », constate un fonctionnaire de police. La hausse annoncée des taxes sur le carburant et, avant cela, la mise en place de la limitation de vitesse à 80 km/h, le 1er juillet, ont accéléré les dégradations dans le département, mais aussi dans le reste du pays.

Aujourd’hui, combien des 2 518 radars recensés en France au début de l’été 2017 sont-ils encore en état de marche ? « Nous ne communiquons pas de chiffres, pour éviter la surenchère et la propagation du phénomène », répond la délégation interministérielle à la Sécurité routière. Et d’ajouter : « Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu des dégradations de radars et ils sont systématiquement réparés. » Mais un automobiliste raconte, sur sa page Facebook, son trajet entre Aurillac (Cantal) et Douarnenez (Finistère). Dans cette grande diagonale entre l’Auvergne et la Bretagne, « vingt-deux radars fixes mais seulement cinq en état de marche ! ».

Emmaillotés, tagués, abattus ou brûlés

La presse locale se fait également l’écho de ces dégradations.

  • Selon La Montagne, toujours, quatorze des quinze radars automatiques du Cantal étaient hors service le 9 décembre, et une vingtaine sur trente dans l’Allier, le 7 décembre ;
  • Dans l’Indre, La Nouvelle République comptait, le 29 novembre, onze appareils « obstrués, potentiellement dégradés, voire intégralement détruits » sur vingt-deux ;
  • Dans la Nièvre, Le Journal du Centre signalait également un radar sur deux hors d’état de fonctionner ;
  • « Dix-neuf radars automatiques du département d’Eure-et-Loir ont été vandalisés » entre le 18 et le 22 novembre, comptabilisait pour sa part L’Echo républicain ;
  • En Bretagne, Ouest-France annonçait, le 27 novembre, que « vingt-quatre à vingt-cinq radars fixes, sur les vingt-sept que compte le département des Côtes-d’Armor, ont été endommagés ». Dans le Morbihan, le 6 décembre, « la moitié des radars ne fonctionnaient plus » ;
  • Du Jura au Vaucluse, selon le Dauphiné libéré, sur quelque cent dix radars répertoriés, une vingtaine à peine fonctionneraient encore.

« C’est une évidence qu’avec le mouvement des “gilets jaunes” on a vu se multiplier la dégradation des radars, reconnaît Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc, la préfète du Puy-de-Dôme. Nous portons plainte systématiquement et les entreprises chargées de l’entretien des appareils interviennent de manière réactive. Mais les dégradations sont devenues tellement importantes et systématiques que notre réactivité… » La préfète s’inquiète des risques pour la sécurité routière : « C’est un discours trop facile que de parler de racket. Les radars sont placés dans des zones accidentogènes et contribuent à diminuer la mortalité sur les routes. Il faut redonner du sens au respect des règles, c’est une question de citoyenneté et de vivre ensemble. »

Ce discours semble inaudible à bien des endroits. Dans l’Aisne, où se recensent vingt-huit radars fixes, il est difficile de connaître le nombre d’appareils vandalisés ou obstrués. Ni la préfecture ni la sécurité routière ne communiquent sur ce sujet, déclarant appliquer cette consigne de silence depuis l’application de la limitation de vitesse à 80 km/h.

Plusieurs radars sont simplement recouverts de sacs-poubelles, comme c’était le cas sur la RD 1044 à Festieux, entre Laon et Reims. Mais les dégradations semblent avoir changé de nature. De plus en plus d’appareils ne sont pas seulement emmaillotés ou tagués mais également abattus ou brûlés. A la fin du mois de novembre 2018, un radar a ainsi été incendié à Bellicourt, entre Saint-Quentin et Cambrai, et un autre a été aspergé de peinture.

« Nous sommes obligés de nous radicaliser »

Ces actes ne semblent pas choquer les « gilets jaunes » rencontrés à Laon. « Je comprends cette colère même si ce sont nos impôts qui vont payer pour les réparations. Les radars participent aux taxes », avance un fonctionnaire. Pour lui, « les automobilistes sont pris pour des vaches à lait ». Les phrases hésitantes des premiers moments de la contestation font place désormais à des discours plus résolus.

« J’approuve les sabotages dans le cadre de la lutte des “gilets jaunes”. Nous sommes obligés de nous radicaliser. Quand il n’y a pas de violence, nous ne sommes pas entendus », observe un retraité. Un enseignant se montre encore plus déterminé : « Les luttes sociales sont liées à l’action. C’est une question de nécessité et d’efficacité. »

Sur les barrages, le discours présidentiel n’a pas convaincu, et le ressentiment des habitants reste fort. L’Etat est accusé de s’effacer de plus en plus dans les campagnes, en ne laissant pour preuve de sa présence que ses radars.

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