Le Parlement du Kosovo vote pour la formation d’une armée, le 14 décembre. / Florent Bajrami / AP

Le Kosovo a décidé vendredi 14 décembre, avec le soutien des Américains, de se doter d’une armée pour affirmer sa souveraineté. Une décision accueillie avec une colère contenue par les Serbes, qui ne reconnaissent pas son indépendance.

« Le Parlement du Kosovo a adopté la loi sur la Force de sécurité du Kosovo ! Félicitations ! », a lancé le président du Parlement, Kadri Veseli, à des députés unanimes dans l’exultation puisque les dix élus de la minorité serbe avaient boycotté la session.

« Assurer l’intégrité territoriale »

Effectuant surtout des missions de sécurité civile, la Force de sécurité du Kosovo (KSF) sera désormais chargée d’« assurer l’intégrité territoriale du pays », « de protéger la propriété et les intérêts de la République du Kosovo, d’apporter un soutien militaire aux autorités civiles en cas de catastrophe, et de participer à des opérations internationales », selon la loi. La mue devrait prendre jusqu’à dix ans, selon analystes et responsables. Aujourd’hui composés de 2 500 membres, les effectifs de la KSF doivent passer à 5 000, plus environ 3 000 réservistes.

Depuis la fin de la guerre entre forces serbes et rebelles indépendantistes kosovars albanais (1998-1999, plus de 13 000 morts), la sécurité du Kosovo est garantie par une force internationale menée par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la KFOR (Force pour le Kosovo).

Quatre pays de l’OTAN ne reconnaissent pas l’Etat du Kosovo

Le vote a été immédiatement salué par les Etats-Unis, plus solide soutien de Pristina depuis plus de vingt ans. Leur ambassadeur à Pristina a salué une contribution « à la paix et la stabilité au Kosovo et dans la région ».

Réservé depuis le lancement de l’initiative, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a regretté le vote, expliquant que l’Alliance allait « être contrainte de réexaminer le niveau d’engagement » de son organisation auprès de la KSF. Il n’a toutefois donné aucun détail et a aussi dit dans un communiqué que l’OTAN restait « engagée à travers la KFOR » pour la sécurité du Kosovo et « la stabilité dans les Balkans en général ».

Quatre membres de l’Alliance (Espagne, Grèce, Roumanie et Slovaquie) ne reconnaissent pas l’indépendance du Kosovo – proclamée en 2008.

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Tambours et trompettes

Pristina a accueilli l’annonce du vote au son des tambours et des trompettes, tandis que des pétards de joie étaient entendus dans la partie méridionale de la ville divisée de Mitrovica, où vivent les Kosovars albanais. « Nous sommes heureux que la construction de notre pays soit terminée », déclare Vlora Rexhepi, un étudiant de Pristina de 23 ans.

« Après deux décennies de dur labeur, nous achevons enfin le processus de construction d’un Etat », a réagi sur Facebook le président kosovar Hashim Thaçi. La veille, il avait revêtu son treillis pour assurer que la nouvelle armée serait au service de tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance ethnique. « Les Serbes sont des citoyens du Kosovo, ils sont chez eux », a dit vendredi son premier ministre, Ramush Haradinaj, s’exprimant en serbe.

Une déclaration qui n’a pas suffi à apaiser les Serbes du Kosovo. Au sud de la rivière Ibar, qui coupe Mitrovica en deux, les détonations se faisaient entendre avant une manifestation de quelques centaines de personnes. Séparés par des troupes de la KFOR, les uns avaient pavoisé leurs rues de drapeaux serbes, tandis qu’en face flottaient les couleurs américaines. La fidélité des quelque 120 000 Serbes du Kosovo reste à Belgrade, capitale de la Serbie. Ils ont donc accueilli cette nouvelle avec inquiétude et colère mêlées. « J’espère que si les Albanais (du Kosovo) entreprennent quelque chose contre nous, l’Etat serbe fera quelque chose pour nous protéger », commente Marko Djusic, habitant de Dren, village serbe du nord du Kosovo.

« Un coup de revolver à la paix »

Un des principaux responsables politiques de la minorité serbe, Goran Rakic, a jugé que la loi était « un coup de revolver à la paix ». Il a mis en garde Pristina contre l’envoi de troupes dans le nord du Kosovo, mais a appelé « à la retenue et à ne pas répondre aux provocations ». A Belgrade, la première ministre, Ana Brnabic, a assuré que la Serbie resterait « sur le chemin de la paix ».

Vendredi, de Jens Stoltenberg à l’ambassadeur américain à Pristina, se sont succédé les appels à reprendre un dialogue au point mort depuis des mois entre Belgrade et Pristina. Après des rumeurs cet été de reprise des discussions pour un accord final, cette crise intervient dans un contexte tendu, avec la mise en place par Pristina en novembre d’une barrière douanière sur les produits serbes. Le Kosovo « est mon pire cauchemar, je vais me coucher avec, je me réveille avec, et je ne dors pas beaucoup », a reconnu jeudi le président serbe, Aleksandar Vucic.

Le Kosovo assure être reconnu par quelque 115 pays. Son indépendance est rejetée par Belgrade, mais aussi notamment par la Russie et la Chine qui lui ferment la porte de l’Organisation des Nations unies (ONU).

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