La police anti-émeute monte la garde devant le siège des Nations unies (ONU), à Managua, le 10 décembre 2018, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme. / INTI OCON / AFP

Près de huit mois après le début des protestations de masse contre le président Daniel Ortega, le régime continue de maintenir la pression sur toute forme d’opposition. Mercredi 12 décembre, l’Assemblée nationale a retiré son statut légal au Centre nicaraguayen des droits humains (Cenidh), une organisation emblématique créée en 1990 et qui défend sans relâche les victimes de la répression.

« Nous continuerons à accompagner le peuple nicaraguayen de toutes les manières possibles », Vilma Nunez

Le vote est intervenu à la demande du ministère de l’intérieur. Le Cenidh est accusé de n’avoir pas agi conformément aux objectifs pour lesquels son statut juridique lui avait été accordé, et d’avoir « utilisé le schéma de l’organisation pour gérer, recevoir, canaliser et faciliter des fonds pour altérer l’ordre public et réaliser des actions pour déstabiliser le pays ».

« Il s’agit d’une résolution illégale et arbitraire, a fustigé la directrice du Cenidh, Vilma Nunez, une ancienne sandiniste devenue une des principales figures de l’opposition, lors d’une conférence de presse à Managua. Nous continuerons à accompagner le peuple nicaraguayen de toutes les manières possibles. »

Le même jour, une autre organisation non gouvernementale (ONG), Hagamos Democracia (« faisons la démocratie »), a également perdu son statut juridique, accusée d’avoir utilisé ses fonds pour commettre des actes terroristes, tout comme deux autres organisations quelques jours plus tôt, l’Institut d’études stratégiques et de politiques publiques, et l’organisation féministe Centre d’information et de service de conseils de santé.

La fermeture du Cenidh est un message

Dans un communiqué, Amnesty International a considéré « alarmant que des organisations avec la trajectoire et la légitimité du Cenidh soient poursuivies (…), laissant sans défense la population du Nicaragua et empêchant que des organisations représentent les victimes et luttent pour leurs demandes de justice ». « Aujourd’hui est un jour très triste pour la défense des droits humains dans la région », a ajouté l’ONG.

« Cet outrage est un exemple du modèle de répression qui vise à anéantir la société civile indépendante au Nicaragua, a déclaré de con côté Gerald Staberock, secrétaire général de l’Organisation mondiale contre la torture. Depuis trente ans, le Cenidh représente un espoir pour toutes les victimes de violations des droits humains. Sa fermeture semble être un message au peuple nicaraguayen pour qu’il ne dénonce pas les violations et exactions, mais elle ne parviendra pas à réduire au silence le mouvement des droits humains. »

La situation des opposants continue d’être dramatique au Nicaragua, huit mois après le début de la révolte contre le régime de Daniel Ortega, au pouvoir depuis 2007 (après une première période entre 1979 et 1990). Si le nombre et l’ampleur des manifestations ont diminué de manière drastique, « d’autres méthodes de répression sont utilisées », expliquait au Monde Vilma Nuñez, lors d’un passage à Paris, fin octobre.

Une ancienne militante du FSLN déçue

« Depuis le début de la répression, le 18 avril, le Cenidh a compté 322 morts, précisait-elle alors. Les gens sont fatigués, épuisés, ils veulent enterrer leurs morts, soigner leurs blessures, faire sortir les plus de 500 prisonniers politiques toujours enfermés. C’est pour cela qu’il y a eu moins de manifestations ces derniers temps. Les gens se terrent, il n’y a plus de vie nocturne à Managua, ni dans aucune ville. »

« J’ai lutté contre la dictature de Somoza, mais aujourd’hui le régime d’Ortega est pire », Vilma Nuñez

Vilma Nuñez, qui a pourtant été une militante du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) en lutte contre la dictature de la famille Somoza et dont Daniel Ortega était un des leaders, a rompu avec le mouvement dès la fin des années 1990, après que la fille adoptive de M. Ortega, Zoilamérica Narvaez, a accusé celui-ci de viol alors qu’elle n’avait que 11 ans. Mme Nuñez, fondatrice du Cenidh, est devenue l’avocate de la jeune femme.

Par la suite, la volonté de Daniel Ortega de s’accrocher au pouvoir à tout prix, les atteintes devenues systématiques aux droits humains et « le fait qu’il trahisse les idéaux de la révolution » ont définitivement éloigné la militante du sandinisme : « J’ai lutté contre la dictature de Somoza, qui m’a arrêtée, moi et mon mari, et m’a torturée, mais aujourd’hui, je le dis : le régime d’Ortega est pire. »

Autre cible de la répression : la presse

La presse, également, est aujourd’hui la cible de la répression. Début décembre, journalistes et médias d’opposition ont dénoncé les arrestations, le harcèlement et les menaces du pouvoir, qui se fait de plus en plus pressant pour « réduire la liberté d’expression ». Le 7 novembre, la police a arrêté le journaliste Alvaro Montalvan, propriétaire de Radio Mi Voz (Radio Ma Voix), critique du gouvernement du président Daniel Ortega, sans en expliquer les raisons.

Le 3 décembre, les émissions de la station de radio d’opposition Radio Dario, dont le siège est à Leon (nord-ouest), ont dû cesser en raison d’une intervention de la police. Le même jour, Miguel Mora, le directeur de la chaîne de télévision 100 % Noticias, un média emblématique au Nicaragua pour sa couverture de la crise depuis avril, a été accusé d’« incitation à la haine et à la violence ».

La presse et les journalistes ont été la cible de plus de 420 agressions, actes de censure ou menaces de la part des forces de police ou des paramilitaires en six mois de crise politique au Nicaragua, a dénoncé en novembre la Fondation Violeta Barrios de Chamorro de défense des droits de l’homme.

Comment expliquer l’insurrection au Nicaragua ?
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