Le terminal 2E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, au nord de Paris, en août. / JOEL SAGET / AFP

Un obstacle de plus sur la voie du CDG Express. Après des recours d’opposants, après une plainte devant l’Autorité de la concurrence, ce sont les principales figures de la politique francilienne qui tentent de freiner le futur train rapide entre l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et la gare de l’Est, à Paris. La présidente de la région et du syndicat des transports Ile-de-France Mobilités, Valérie Pécresse (LR), a demandé à l’Etat de geler les travaux, rejointe le lendemain par la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, et le président (PS) du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel. Une exigence qui renverrait le début des travaux à 2025, alors que cette ligne à 2,1 milliards d’euros est censée entrer en service avant les Jeux olympiques de 2024.

Ce front uni, qui marque un changement de ton de la part des dirigeantes de la Ville et de la région, illustre l’inquiétude croissante des élus locaux, des associations d’usagers, mais aussi, mezza vocce, de certains responsables des entreprises de transports face à l’ampleur des chantiers prévus sur le faisceau ferré au nord de Paris : après des années de sous-investissement, SNCF Réseau doit conduire le chantier de rénovation des voies du RER B, mais aussi adapter l’infrastructure aux nouveaux trains à étage attendus d’ici à 2025 et créer, pour la même échéance, les interconnexions avec la future ligne 16 du Grand Paris Express.

Ajouter à ce cahier des charges infernal les travaux du CDG Express, qui doit emprunter des voies partagées avec le RER B et des lignes de la SNCF sur l’essentiel de son parcours de 32 kilomètres, pourrait accroître les perturbations sur plusieurs lignes déjà saturées. Alors que le chantier doit démarrer en janvier, Ile-de-France Mobilités « demande à l’Etat de suspendre les travaux du CDG Express tant que toutes les garanties n’auront pas été données sur l’absence d’impact sur les voyageurs du quotidien, notamment du RER B », indique un communiqué du mercredi 12 décembre.

« Les travaux générés par ce projet dans son calendrier actuel pourraient durablement détériorer la vie quotidienne de millions de Français », avertit Valérie Pécresse. Sans arrêt entre l’aéroport et la gare de l’Est, le CDG Express est censé transporter 20 000 voyageurs par jour en moyenne, pour un ticket à 24 euros, contre près d’un million d’usagers quotidiens pour le RER B. Anne Hidalgo et Stéphane Troussel vont plus loin, estimant que « rien ne vient démontrer aujourd’hui que le CDG Express contribuerait significativement » à l’attractivité des territoires et que « toutes les alternatives doivent donc être mises aujourd’hui sur la table ».

La pression des associations d’opposants et des groupes communiste et écologiste, rejoints par certains élus de la majorité LR d’Ile-de-France, s’est accentuée ces derniers jours sur la présidente d’Ile-de-France Mobilités, qui soutient le principe de cette liaison aéroportuaire. La perspective de millions d’usagers furieux de voir pendant des années des lignes fortement perturbées, voire fermées des jours entiers, a de quoi l’inquiéter. Les associations préparent déjà la distribution de « brassards jaunes » aux voyageurs.

Un vrai piège pour l’Etat

Alors que la crise des « gilets jaunes » s’éternise, le dossier est aussi un vrai piège pour l’Etat. Le ministère des transports a assuré que la ministre Elisabeth Borne, qui a fait des transports du quotidien « la première des priorités de l’Etat », s’entretiendrait « dans les tout prochains jours avec Valérie Pécresse au sujet du CDG Express ». Le préfet de région, Michel Cadot, s’est par ailleurs vu confier cet automne la coordination d’un « comité de pilotage stratégique » de ces chantiers de l’axe ferroviaire Paris-Nord pour tenter d’éviter le déraillement.

Pas sûr que l’Etat puisse satisfaire la longue liste d’exigences d’Ile-de-France Mobilités pour garantir que les travaux du CDG Express ne ralentiront pas les autres chantiers et ne perturberont pas le trafic. Mais, alors que les lignes du Grand Paris Express ont elles-mêmes déjà été retardées, difficile pour le gouvernement d’assumer de renvoyer le projet à l’après-Jeux olympiques, même si beaucoup d’acteurs jugent, en aparté, ce calendrier impossible à tenir.

« CDG express est vital pour le pays. C’est aussi l engagement de la France pour les JO de 2024 à Paris qui est en jeu », a tweeté mercredi le PDG du groupe ADP, Augustin de Romanet. Le consortium chargé par l’Etat de réaliser et de gérer l’infrastructure du CDG Express, composé du groupe ADP, de SNCF Réseau et de la Caisse des dépôts, souligne qu’il va investir 177 millions d’euros pour renforcer la « robustesse » du RER B.

Pas assez pour convaincre l’association « Non au CDG Express », qui demande, dans un communiqué, que les milliards consacrés au CDG Express – en réalité un prêt de l’Etat de 1,7 milliard d’euros – soient utilisés « par SNCF Réseau pour faire face à la multitude des travaux à réaliser sur le réseau ferroviaire en IDF ». Il manque au moins 1,5 milliard d’euros d’investissements à lancer d’urgence pour renforcer l’infrastructure et le système d’exploitation des RER B, C et D.

Une autre menace pèse sur le calendrier. Alors que l’Etat a choisi, le 19 novembre, de confier l’exploitation de la future ligne à un groupement constitué de Keolis (filiale de la SNCF) et RATP Dev, leur concurrent malheureux pour cet appel d’offres, Transdev (filiale de la Caisse des dépôts) a porté plainte devant l’Autorité de la concurrence. La procédure est en cours d’instruction.