Une jeune réfugiée syrienne en train d’effectuer un travail de prévention contre le mariage précoce. / MARY TURNER / PANOS-REA

Entourée par des champs de bananiers, la barre de béton qui s’allonge en périphérie de la ville côtière de Sarafand, dans le sud du Liban, sert d’abri à plus de soixante-dix familles de réfugiés syriens. A l’intérieur, dans la pièce étroite que l’une d’elles occupe, on a fait de la place pour que des fillettes participent à un atelier de prévention sur le mariage précoce animé par la fondation suisse Terre des hommes.

Eloignée des regards, dans une autre salle, Zeinab (le prénom a été modifié), 16 ans, maman de trois petites filles, assure avoir consenti au mariage, célébré il y a trois ans, dans un village de Syrie, et être soutenue par son mari, de dix ans son aîné. Ce qui ne l’empêche pas de regretter : « Je pense à l’avenir. Je ne veux pas que mes filles se retrouvent dans la même situation que moi. C’est très lourd. »

« Sans la guerre, le mariage n’aurait pas eu lieu si tôt. J’avais 11 ans quand ma famille a fui au Liban. On vivait sous une tente. On n’avait rien. » Ghadir, 16 ans

Les unions où l’épouse est mineure sont une pratique ancienne en Syrie, dans les zones rurales pauvres, mais, selon plusieurs études, leur nombre a augmenté avec la guerre et l’exil. Quelque 22 % des réfugiées syriennes de 15-19 ans au Liban sont déjà mariées, indique une enquête publiée en 2017 par des agences des Nations unies. L’âge moyen aurait même baissé. Alors que l’on célèbre les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’ONU vient de mener une campagne de prévention contre le mariage des enfants au Liban, une action menée conjointement avec la Commission nationale de la femme libanaise.

Ghadir avait 14 ans quand elle s’est mariée. Deux ans plus tard, elle a déjà donné naissance à deux enfants. « Sans la guerre, le mariage n’aurait pas eu lieu si tôt. J’avais 11 ans quand ma famille a fui au Liban. On vivait sous une tente. On n’avait rien », explique cette jeune Syrienne. Sa voix est parfois recouverte par les cris de tout-petits. « En situation de déplacement, des pères sont convaincus d’améliorer le sort de leur fille en la mariant », explique Mohamed Abou Zeid, juge au tribunal religieux sunnite de Saïda, dans le sud du Liban – la plupart des réfugiés syriens sont sunnites. Selon lui, il arrive aussi que des adolescentes demandent à se marier, sans en mesurer les conséquences.

L’exil, synonyme de pauvreté et d’isolement, s’ajoute aux risques pour la santé liés à des grossesses précoces ou rapprochées. « Lors de ces unions célébrées autrefois en Syrie, les familles jouaient un rôle de soutien qu’elles ne sont plus capables d’assurer. Le tissu social est défait », déplore le magistrat.

« Enregistrer ces mariages est le seul moyen de donner des droits légaux aux enfants à naître et à l’épouse en cas de divorce. » Mohamed Abou Zeid, juge au tribunal religieux de Saïda

Dans une impasse de la localité de Seddiqine, Kawthar, 15 ans, mariée depuis trois ans, vit dans la solitude, même si son père et sa mère habitent non loin. « Mes parents m’ont mariée, comment pourraient-ils m’aider ? Ils n’ont pas assez d’argent pour subvenir à leurs propres besoins », lâche-t-elle, en donnant le sein à sa cadette, âgée d’un an. Déscolarisée dès son arrivée au Liban, cette adolescente originaire de la province d’Alep travaille depuis dans les exploitations de tabac pour moins de six euros par jour. Il lui est arrivé de devoir laisser seules ses deux fillettes en partant aux champs. Son cas a été signalé par Terre des hommes au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, afin qu’elle obtienne assistance financière et protection.

Mais il est difficile de détecter ces situations de souffrance. Au Liban, où le statut personnel est régi par les autorités religieuses, de nombreux mariages précoces ne sont pas enregistrés, soit parce que les unions sont célébrées par des imams qui ne sont pas reconnus par l’Etat, soit parce que l’argent manque pour remplir des formalités administratives payantes. Pour agir, les ONG font du porte-à-porte. Mais tout le monde ne voit pas d’un bon œil cet activisme.

« Beaucoup d’associations viennent nous parler du mariage précoce. Certains réfugiés entendent ce discours, d’autres le refusent », affirme Mariam, 31 ans. Elle-même espère voir sa fille aînée de 14 ans, promise par son père à un cousin, échapper à ce destin. « Sa future belle-famille veut l’emmener en Syrie, alors qu’il y a encore des combats dans notre région natale. De plus, Nour est trop jeune, elle est encore fragile, elle a besoin de ses parents », objecte Mariam.

Dans son travail de prévention, Terre des hommes associe des responsables religieux reconnus par les tribunaux. « Mais il est difficile de dissuader ces unions », constate le juge Mohamed Abou Zeid. Hostile aux unions précoces, il a pourtant choisi de les enregistrer. « Même si on refuse, elles auront lieu, explique-t-il. Enregistrer ces mariages est le seul moyen de donner des droits légaux aux enfants à naître et à l’épouse en cas de divorce. » Alors que les appels au retour des réfugiés syriens dans leur pays se multiplient au Liban, de nombreux couples pourraient se retrouver piégés dans un labyrinthe administratif.