Les représentants des délagations à l’issue de la COP24, à Katowice (Pologne), le 15 décembre. / Czarek Sokolowski / AP

La COP24 s’est achevée, samedi 15 décembre, à Katowice, en Pologne, après deux semaines de discussions entre les représentants de 196 pays. Le sommet a réussi à rendre opérationnel l’accord de Paris de 2015, mais a échoué à engager une hausse collective des efforts.

En octobre, dans un rapport historique, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) appelait les pays à diviser par deux leurs émissions d’ici à 2030.

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Edou : Pourquoi dit-on que ce sommet est un échec mais que le sommet de paris était un succès ?

Le sommet de Paris a permis, pour la première fois dans l’histoire des négociations climatiques, de conclure un traité international, qui engage tous les Etats, pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce n’était pas le cas du protocole Kyoto, adopté en 1997, qui ne concernait que les pays développés. La COP24 est un demi-échec dans le sens où elle a rempli son premier objectif : adopter le guide d’application de l’accord de Paris. Mais elle n’est pas parvenue à rehausser les ambitions des Etats, notoirement insuffisantes.

Lilou : Je n’arrive pas à comprendre en quoi la COP24 a permis de rendre l’accord de Paris plus opérationnel.

Il faut imaginer que l’accord de Paris est un texte de loi et que le mode d’emploi (appelé rulebook) qui vient d’être adopté à Katowice en constitue les décrets d’application. Autrement dit, la COP24 était une étape nécessaire vers la mise en œuvre effective de l’accord, mais elle s’est avérée bien insuffisante.

Elisa : Lorsque vous dites que la COP24 a permis d’adopter « le guide d’application de l’accord de Paris », cela veut-il dire que les pays signataires sont désormais contraints de l’appliquer ?

La question du degré de contrainte de l’accord de Paris fait l’objet de débats parmi les juristes. Il n’est pas contraignant dans la mesure où il n’y a pas de sanction en cas de non-respect des objectifs, mais il impose aux Etats de se revoir, de donner de nouveaux engagements tous les cinq ans et d’être transparents sur leurs efforts.

GreenWatching : Y a-t-il de nouveaux pays qui, lors de cette COP, se sont engagés à mettre en place un prix du carbone ?

Non. En revanche, certains pays ont profité de cette actualité pour faire part de leur expérience, comme le Canada, dont la taxe carbone dans la province de Colombie-Britannique a rencontré un tel succès qu’elle a inspiré la mise en place d’une taxe carbone nationale. Le sujet a beaucoup été abordé à Katowice, toutes les délégations et les observateurs réagissant à la crise des « gilets jaunes » en France (appelés yellow vests sur place). Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), une cinquantaine de pays ont mis en place, ou sont en train de le faire, un prix du carbone, sous la forme d’une taxe ou d’un marché.

Aurélien : Rendre opérationnel l’accord de Paris, cela signifie quoi concrètement ? S’accorder sur la mise en place d’un marché international du carbone ?

Cela signifie adopter toutes les règles qui permettront aux Etats de planifier, mettre en œuvre et revoir leurs actions. Il faut d’abord qu’ils sachent comment rédiger leurs « contributions déterminées au niveau national » (en anglais, les NDC), c’est-à-dire les engagements pour réduire leurs émissions et s’adapter aux effets du réchauffement. Vient ensuite la question de la transparence : comment rendre des comptes sur les progrès accomplis, tout en ayant une flexibilité pour les pays en développement. Il y a aussi la question de ce que l’on appelle le bilan mondial, qui permet tous les cinq ans de rehausser les efforts. Et enfin la question de la comptabilité et de la prévisibilité des financements climat. Tout cela paraît très technique, mais c’est la condition sine qua non pour que ce traité scellé par 196 Etats produise des effets.

GreenWatching : La COP a-t-elle abordé les liens entre climat et commerce international ?
Cette question est centrale mais aussi très sensible. Peu de pays veulent prendre le risque de l’aborder frontalement. En revanche, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) soulèvent le problème de la « compatibilité » entre les accords commerciaux et les besoins de la lutte contre le changement climatique. En pleine COP24, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) a par exemple alerté sur l’accord en cours de ratification entre l’Union européenne et le Japon (le Jefta), qui pose des questions en matière d’agriculture, d’environnement, de climat. C’était déjà le cas pour le CETA, le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.

Un représentant des… : A la fin de la première semaine de la COP, les pays s’étaient engagés, dans une note verbale, pour savoir s’ils « prenaient note » ou « accueillaient » le rapport spécial du GIEC sur 1,5 °C publié en octobre. La deuxième semaine a-t-elle offert un dénouement à cette affaire ?

Cette subtilité de langage cache un enjeu majeur car les négociations climatiques s’appuient sur les rapports de la science comme base d’action. Après la tentative de blocage de quatre pays pétroliers (Arabie saoudite, Koweït, Russie et Etats-Unis), les négociateurs ont finalement, dans leur décision, affirmé qu’ils saluaient « l’achèvement dans les délais du rapport du GIEC » sur les 1,5 °C. Pour certains pays et observateurs, c’est une remise en question de la science qui risque de retarder l’action. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), chaque année compte pour agir : nous avons douze ans pour diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre.

GreenWatching : Quelle a été l’attitude des négociateurs américains pendant cette COP ?

En dépit des gesticulations de Donald Trump, l’équipe américaine continue de participer aux négociations avec des positions variables. « Si la délégation américaine suivait les orientations du président Trump, elle serait en train de torpiller les négociations, ce qui n’est pas le cas », relativise un expert du dossier. Mais les Etats-Unis étaient tout de même à la manœuvre pour affaiblir les conclusions du rapport du GIEC.

Djeissi : La jeune Suédoise qui a interpellé les décideurs politiques a laissé comprendre qu’il pourrait bien être nécessaire de changer de système. Quel est ce nouveau système auquel on pourrait penser ?

Greta Thunberg est effectivement devenue le visage de la COP24. Elle a réussi à interpeller les décideurs et a entraîné un large mouvement d’élèves qui font une grève tous les vendredis pour le climat. Il n’y a pas de solution miracle, mais il est clair qu’il faut décarboner notre économie (énergie, transports, habitat, etc.) et moins consommer si l’on veut endiguer le réchauffement climatique. Le Monde a consacré une semaine spéciale aux solutions, que vous retrouverez avec le hashtag #UrgenceClimat.

Elie : Les négociations sur la méthode de comptabilisation des crédits carbone sont reportée. Il me semble pourtant qu’il s’agit d’un axe central à l’échelle mondiale.

Un ultime différend a porté sur un article très complexe, qui a trait au fonctionnement des mécanismes de marché, c’est-à-dire aux échanges d’émissions de CO2 qui permettent aux pays les moins pollueurs de revendre des quotas à ceux qui émettent plus. Le risque réside dans la double comptabilisation des réductions d’émissions, à la fois par le pays concerné et par le pays acheteur. « La question est de savoir qui peut prétendre avoir fait les efforts », explique un connaisseur du sujet. C’est un sujet effectivement sensible, avec des implications financières, qui va encore empoisonner les négociateurs lors de la COP25 au Chili, et peut-être au-delà.

Gerard D. : La Pologne et l’Allemagne ont-elles présenté une stratégie de sortie du charbon ?

L’Allemagne est empêtrée dans une commission de sortie du charbon qui joue les prolongations et dont l’issue devrait intervenir au printemps 2019. Elle n’a rien indiqué lors de la COP24, et est restée discrète dans les négociations. La Pologne a profité de son statut de présidente de la conférence pour mettre en avant le thème de la « transition juste », afin d’accompagner la transition écologique pour les moins aisés. Une posture bien pratique pour continuer à exploiter ses ressources charbonnières encore de longues années.

Vallée : Où en est-on de la promesse faite par les pays du Nord à ceux du Sud de 100 milliards de dollars annuels pour les aider à financer leur politique climatique ?

Selon l’ONU, les pays du Nord ont mobilisé 55 milliards de dollars en 2016 en faveur des pays du Sud. Pour ces derniers, cette somme ne correspond pas à la promesse faite à Copenhague en 2009. Et surtout, elle est bien insuffisante par rapport aux besoins des pays en développement pour effectuer leur transition énergétique et s’adapter aux effets du réchauffement, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars. Le Fonds vert, l’un des mécanismes financiers du Nord vers le Sud, qui atteint plus de 10 milliards de dollars de promesses pour la période 2015-2018, doit être recapitalisé l’an prochain.

Gabriel : Les Etats semblent toujours avoir une longueur de retard, alors que beaucoup de villes à travers le monde démontrent que l’adaptation est possible.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’action climatique est notamment portée par les acteurs non étatiques. Selon son dernier rapport, 7 000 villes de 133 pays et 245 régions, aux côtés de 6 000 entreprises cumulant 36 000 milliards de dollars (31 900 milliards d’euros) de revenus, ont pris des engagements pour limiter le réchauffement. Une gouvernance « parallèle » aux négociations des Etats est en train de se mettre en place. En septembre, en Californie, s’est tenu pour la première un sommet mondial des acteurs non étatiques. Cette mobilisation est nécessaire, car elle met les Etats face à leurs responsabilités. Elle peut à la fois les pousser à augmenter leurs efforts et à ne pas renier leurs promesses.

Vallée : Alors que la France se gargarise de l’accord de Paris, le désintérêt manifeste de l’exécutif pour la COP24 fait tache.

La France a effectivement brillé par son absence lors de cette COP : Emmanuel Macron n’avait pas prévu de s’y rendre. Il avait passé la main à Edouard Philippe qui a finalement annulé sa venue en raison de la crise des « gilets jaunes ». C’est son ministre de la transition écologique, François de Rugy, qui a représenté la France lors de l’ouverture protocolaire de la COP24. En revanche, il n’était pas présent pendant le segment ministériel de la deuxième semaine. Seule sa secrétaire d’Etat, Brune Poirson, s’est déplacée, et seulement deux jours, le lundi et mardi. En coulisses, beaucoup ont critiqué la défection du pays « gardien » de l’accord de Paris.