La dépouille d’Edmond Simeoni, décédé à l'âge de 84 ans, quitte l'oratoire Saint-Roch, à Bastia, le 16 décembre, pour rejoindre Lozzi, devant une foule nombreuse venue lui rendre un dernier hommage. / Olivier Laban-Mattei / Myop pour / Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Le Niolu est une région de défilés aussi étroits que vertigineux. On y monte surtout pour fleurir les cimetières à la Toussaint ou retrouver la maison de famille, pendant les vacances d’été. Après la mort d’Edmond Simeoni, vendredi 14 décembre, plus de trois mille personnes ont patienté à Bastia, parfois une heure durant, pour se recueillir devant sa dépouille, dans l’église Saint-Roch ; lundi 17 décembre, seuls les militants de toujours et les « personnalités » de l’île assistaient, à Lozzi, à la messe d’enterrement du premier leader autonomiste corse.

Les trois députés nationalistes de l’île ont fait le déplacement jusqu’au village du défunt, rejoints par celui des Pyrénées-Atlantiques, Jean Lassalle : « Sans Edmond Simeoni on ne parlerait plus occitan, ni breton, ni basque. » On croise aussi devant l’église l’ancien sénateur (radical de gauche) Nicolas Alfonsi, qui a connu « Edmond » dans l’hémicycle régional. Durant tout le week-end, l’Assemblée territoriale a d’ailleurs mis en berne les trois drapeaux de sa façade : le corse, l’européen, le français. « La mort rassemble, résume l’ancien député (Les Républicains) de Corse-du-Sud, Camille de Rocca-Serra. Tous les nationalistes étaient venus aux obsèques de mon père, et moi je suis là. »

Gilles Simeoni (à gauche), son frère Marc et leur mère, Lucie Simeoni, à Lozzi, le 17 décembre. / Olivier Laban-Mattei / Myop pour / Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Hommage de fonctionnaires et de militants

« Edmond, on lui a préparé la fête qu’il mérite », annonce Marceau Simeoni, son parent et ancien élu nationaliste. Des fonctionnaires et des militants comme Christine Colonna, la sœur d’Yvan, des banderas et des rosettes, des costumes et des parkas. Alors que sonne le glas déboulent en même temps la préfète de région, le préfet de Haute-Corse et l’ex-chef du Front de libération national corse (FLNC), Charles Pieri, entouré de ses hommes. Les femmes s’assoient à droite, les hommes à gauche : Max, frère d’Edmond et militant plus discret, le cousin Jean-Felix Acquaviva, député et responsable de Femu a corsica, parti qui a porté Gilles Simeoni (le fils) à la tête de l’exécutif corse… « Le Niolu est aussi une région de clans », sourit un participant.

Les plus fameux chanteurs de polyphonies de l’île se serrent devant la tête de Maure qui recouvre le cercueil. « Prépare-toi, chevrier, maintenant il faut partir sur les hauteurs, on se rejoint bientôt à Barghjana » : A Filetta ouvre la messe avec les couplets d’A Muntagnera, cette « transhumance » qui berce l’histoire du Niolu, région rugueuse de bergers.

Le vocaliste Petru Guelfucci et Jean-Paul Poletti, pilier du chœur d’hommes de Sartène, se joignent à eux, entonnant même – séquence nostalgie – le Culombu, ce chant dont Action régionaliste corse (ARC, parti autonomiste fondé en 1970 par Edmond Simeoni), avait fait son hymne. « Ceux de l’ARC », d’ailleurs, portent le cercueil, bien qu’ils ne soient plus tout jeunes.

Seuls les militants de toujours et les « personnalités » de l’île assistaient, à Lozzi, lundi 17 décembre, à la messe d’enterrement d’Edmond Simeoni, premier leader autonomiste corse. / Olivier Laban-Mattei / Myop pour / Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Lucie Simeoni, silencieuse sur son banc

Diacres et frères de combat rendent tous hommage au défunt en corse. Seul l’évêque, Mgr Olivier de Gernay, choisit le français ou plutôt le latin, bien pratique : il convient à tout le monde. Quand Marc Simeoni (l’autre fils) salue sa mère Lucie, la « muse » de son père, silencieuse sur son banc, Gilles serre les lèvres pour garder les yeux secs, notent devant leurs postes ses électeurs : France 3 retransmet en effet la cérémonie en direct.

Rares sont ceux qui, sur l’île, n’ont jamais croisé ou serré la main d’Edmond Simeoni, mais aujourd’hui le fils est encore plus connu que le père. Lorsqu’il prend enfin la parole, il s’appuie sur un texte, contrairement à ses habitudes. « Avant de mourir, mon père m’a confié : “dis à tous mes compagnons de lutte que je pars tranquille, rapporte en corse le président du « mini-gouvernement » de l’île. Que si nous faisons ce qu’il faut, notre pays se fera”. »

Devant l’autel, il remercie les « représentants de l’Etat » montés à Lozzi, comme ceux qui « ne partageaient pas les idées de [son] père, mais qui ont le même amour de cette terre ». « Ces obsèques, poursuit-il, ne pouvaient avoir lieu qu’ici, au pied du Monte Cinto », enneigé, dans ce village veillé l’hiver par cinquante habitants – fatalité d’une île dont les maisons tombent en ruine, mais où les tombeaux restent impeccables.