Des travailleurs trient et nettoient des fleurs de safran dans la région de Taliouine, au Maroc, le 7 novembre 2018. / FADEL SENNA / AFP

Cette petite fleur mauve aux pistils rouges est un trésor qui suscite bien des convoitises : les producteurs de safran de la région de Taliouine, dans le sud du Maroc, tentent de protéger leur épice rare et précieuse face aux contrefaçons.

Producteur local, Brahim Afezzaa est très attaché à la valeur de sa récolte, protégée par un label d’appellation d’origine protégée (AOP). « Le safran pur de Taliouine est le meilleur au monde, selon les experts », va-t-il même jusqu’à affirmer, ce que contesteraient à coup sûr d’autres producteurs, notamment en Iran. Mais ce Marocain de 51 ans regrette que des produits de « contrefaçon » soient commercialisés en usurpant l’appellation « Taliouine », sans respect des critères stricts de qualité imposés par le label AOP.

Au pied des cimes enneigées du mont Toubkal, les méthodes de culture n’ont guère changé depuis des siècles. A la saison de la cueillette, des travailleuses agricoles s’emploient dès l’aube à ramasser à la main les petites fleurs qu’elles posent minutieusement dans des paniers en tiges de roseaux. Une fois séchés et triés, les stigmates du pistil donneront le safran, l’épice la plus chère au monde, très prisée par les chefs étoilés.

Une culture « transmise de père en fils »

Sara, une Belge trentenaire, a profité de vacances au Maroc pour découvrir le safran de Taliouine vanté dans les guides touristiques. Dans son pays, elle paye cette épice 5 euros le gramme, mais, « en Belgique, on n’est pas vraiment sûr qu’elle soit pure », confie-t-elle lors d’une journée d’initiation chez Lahcen, un producteur local.

Dans la région de Taliouine, on s’en sert surtout pour pimenter les tajines de poulet. Mais « beaucoup préfèrent vendre le safran pour subvenir à leurs besoins », explique Driss, un acteur du monde associatif âgé de 24 ans. Principale richesse de la cité berbère de Taliouine, le safran y fait vivre près de 1 500 familles. Et la contrefaçon « nuit à l’image de cette culture transmise de père en fils et qui fait notre fierté », s’insurge Driss.

L’enjeu financier n’est pas anodin pour le Maroc, quatrième producteur mondial de cette épice derrière l’Iran, l’Inde et la Grèce, selon une étude de l’institut FranceAgriMer publiée en 2013. Brahim Afezzaa vante les multiples débouchés du safran : « On l’utilise en pharmacie contre le froid et les douleurs d’estomac, en cuisine, en cosmétique… »

La fleur de Crocus sativus exige des conditions climatiques drastiques (été chaud, hiver froid et humide) et se cueille de mi-octobre à mi-novembre, pendant seulement deux à trois heures par jour, à l’aube, avant qu’elle ne s’ouvre. Sa rareté, sa culture particulièrement lente et difficile et ses vertus expliquent son prix élevé, alors qu’il faut environ un kilo de fleurs pour obtenir 12 grammes d’épice.

De multiples possibilités de fraude

Au Maroc, le safran certifié AOP se négocie autour de 3 euros le gramme, selon les informations obtenues auprès de Dar Safran, qui regroupe 25 coopératives locales et défend l’AOP de Taliouine. Mais les produits de contrefaçon « peuvent descendre à moins d’un euro le gramme au célèbre marché Derb Omar de Casablanca », souligne Ismaïl Boukhriss, directeur de Dar Safran.

L’ampleur de la contrefaçon n’est pas chiffrée, mais on sait que les possibilités de fraude sont multiples. La poudre pure peut facilement être mêlée à des colorants chimiques, à du safran de mauvaise qualité ou à des débris d’autres plantes, comme du maïs, expliquent des producteurs locaux.

Interrogé par l’AFP, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), qui contrôle notamment la qualité des produits agricoles, confirme que des « non-conformités » ont été décelées lors de contrôles « sur des safrans vendus en vrac ou dans des emballages ne portant aucune indication d’étiquetage ». À savoir : teneur trop faible en principes actifs (pigments et arômes) et présence, « dans certains échantillons, de matières étrangères et de colorants artificiels ».

Les adhérents de Dar Safran, eux, soumettent leur précieuse récolte à différents tests : mesure du taux d’humidité, concentration des composants qui donnent le goût, couleur et odeur de l’épice. Obtenir le label AOP nécessite le feu vert d’un laboratoire spécialisé. Le directeur de Dar Safran aimerait que le marché informel soit soumis « au même contrôle ».

Les intermédiaires, « premiers responsables »

L’ONSSA invite les commerçants à « n’acheter que des produits emballés et étiquetés issus d’établissements agréés et autorisés » par ses services. Et précise que le safran destiné à l’export est soumis « à la certification sanitaire à la demande de l’exportateur quand c’est exigé par le pays de destination ». Mais beaucoup de safran frelaté circule au Maroc.

Pour Lahcen, le producteur qui accueille les touristes belges dans sa maison au bord d’un champ de safran, « les intermédiaires sont les premiers responsables de la fraude, il faudrait leur imposer de lourdes amendes ». Selon lui, certains petits producteurs préfèrent passer par ces intermédiaires, quitte à brader leur produit, pour éviter les délais de paiement pratiqués par les coopératives. Or le risque de fraude augmente quand le circuit passe par le réseau informel de marchands ou de courtiers, souligne Ismaïl Boukhriss, de Dar Safran.

Le royaume a produit 6,8 tonnes de safran en 2018, pour 1 800 hectares cultivés, selon les chiffres du ministère de l’agriculture. Dont plus de 90 % à Taliouine et chez sa voisine Taznakht.