Bernard Laporte, président de la Fédération française de rugby, le 8 janvier à Marcoussis (Essonne). / Michel Euler / AP

Dans les bureaux de la Fédération française de rugby (FFR), depuis de longs mois, ce n’est pas la joie. Rien à voir avec des défaites sur un terrain. Un cabinet d’expertise indépendant, Progexa, a mené une enquête sur le climat social auprès des salariés. Son rapport, dont Le Monde a pris connaissance, évoque « un état de santé général particulièrement dégradé et alarmant ». Puis, ce constat : « Certains salariés sont d’ores et déjà dans des situations de souffrance au travail. »

Après des phases d’entretiens de juin à septembre, les auteurs ont transmis leur document à la direction de la « fédé » en octobre, avec la recommandation de réfléchir à « un plan d’action concret, rapide et participatif ». Jeudi 13 décembre, ils devaient aussi présenter une synthèse aux salariés, au siège fédéral de Marcoussis (Essonne).

Les représentants du personnel attendaient un diagnostic depuis un an. C’est le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui en a émis la demande, à laquelle la direction a aussi voulu s’associer.

Plusieurs départs

La FFR est une grosse maison. L’une des plus importantes fédérations sportives du pays : quelque 150 salariés, outre les joueuses et joueurs de rugby à 7 sous contrat. Selon nos calculs, au moins 25 salariés l’ont quittée depuis deux ans, abstraction faite des simples départs à la retraite.

Ces départs concernent tous les pôles : financier, marketing et communication, juridique, sportif, direction générale. Sans oublier le secteur des ressources humaines, l’un des plus touchés, après d’importantes périodes d’arrêt maladie.

Si leurs modalités diffèrent (démissions, ruptures conventionnelles ou licenciements, jusqu’aux prud’hommes), ces départs ont une chronologie commune. Pour la majorité d’entre eux, ils résultent de désaccords avec la méthode de la nouvelle direction de la FFR et avec la présidence de Bernard Laporte, élu le 3 décembre 2016.

Sentiment d’être « stigmatisés, étiquetés »

Selon le cabinet Progexa, certains salariés éprouvent « le sentiment d’être ’stigmatisés, étiquetés’ comme issus de l’ancienne direction face à de nouveaux collaborateurs ». Avec parfois l’impression d’avoir été « dénigrés » dès avant la passation de pouvoir : pendant la campagne électorale, entre autres amabilités, le candidat Bernard Laporte avait comparé la présidence de Pierre Camou (2008-2016) à « la Corée du Nord ».

De la part de salariés, il ressort aussi « le sentiment que l’équipe de direction » actuelle est « en campagne permanente » pour sa réélection, en 2020. « Ceux-ci peuvent éprouver des difficultés à retrouver les valeurs associatives qu’ils défendent dans une fédération qui s’est politisée. » D’autant que la FFR a fait l’objet d’« événements médiatiques » lors desquels « ils ne se sont pas sentis protégés ou accompagnés ».

Aucun exemple précis n’est donné, mais on peut songer à la journée du 23 janvier : il y a bientôt un an, les enquêteurs du parquet national financier (PNF) perquisitionnaient les locaux pour poursuivre leurs investigations sur des suspicions de conflit d’intérêts entre Bernard Laporte et Mohed Altrad, président du club de Montpellier.

« Management par la peur »

D’autres éléments posent problème en interne. « Un manque d’information et de clarification de la stratégie politique de la FFR et de son déploiement » cause du stress. Est aussi décrite une sorte de «’management par la peur’, qui émanerait de stratégies individuelles autorisées par le manque de cadre institutionnel ».

Ces témoignages reposent sur des entretiens individuels et collectifs. En complément, 92 salariés ont participé à un questionnaire en ligne, anonyme et ouvert à tous. Le détail des résultats a été confié aux représentants du personnel, à la direction, ainsi qu’à la médecine et à l’inspection du travail.

A la question « Recommanderiez-vous à un ami proche de postuler à la FFR ? », près de la moitié des réponses sont négatives : soit « non, pas vraiment » (35 %), soit « non, pas du tout » (14 %). Pour autant, 54 % des salariés ayant répondu envisagent de rester à la FFR dans les prochaines années.

Liste d’« initiatives prioritaires »

Contacté, le directeur général de la FFR, Sébastien Conchy, n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Des interrogations concernent une autre étude sur l’organisation interne du travail, conduite cette fois sous l’impulsion de la direction. En mai, le cabinet Deloitte a restitué aux salariés les conclusions du rapport « Réussir ensemble 2023 », date de la Coupe du monde en France ; une compétition dont le puissant cabinet d’audit figure parmi le « Cercle des soutiens ».

Cette mission Deloitte, plus coûteuse, a établi une liste d’« initiatives prioritaires ». Toutes ces propositions nécessitant « un engagement fort de la direction générale avec un horizon d’implémentation à court terme », selon la novlangue employée.

Certaines ont déjà été suivies d’effet, comme l’apparition d’un directeur délégué aux affaires commerciales et sociales, Julien Colette. Pour la diffusion des comptes rendus du comité directeur ou du bureau fédéral dès le lendemain, ou pour la publication d’un organigramme à jour, que recommandait ce rapport, il faudra cependant encore patienter.