Les « gyros bleus » après les « gilets jaunes » ? Alors que le mouvement social semble marquer le pas sur les ronds-points, le gouvernement va peut-être devoir faire face à une mobilisation d’un nouveau genre, mais tout aussi embarrassante : celle des policiers qui dénoncent leurs conditions de travail et de rémunération.

Les trois grandes organisations de gardiens de la paix et gradés, le corps principal dans la police nationale, ont appelé chacune, et de manière non coordonnée, à des actions dans les jours à venir. Unité SGP-Police-FO avait ouvert les hostilités, samedi 15 décembre, en appelant à un « acte I » de la mobilisation en janvier, en écho aux manifestations hebdomadaire de « gilets jaunes ». Alliance Police nationale a relancé, lundi 17 décembre, en décrétant une « journée noire » mercredi 19 et en demandant aux fonctionnaires de fermer les commissariats et de ne répondre qu’aux appels d’urgence. Enfin, l’UNSA-Police a embrayé en annonçant que ses troupes feraient le « service minimum » dès mardi 18 décembre, en ne verbalisant pas les contrevenants.

Une course à l’échalote qui ne fait pas les affaires du gouvernement. Du côté du ministère de l’intérieur, on sait que ces appels ne sont pas à prendre à la légère dans une profession ultrasyndiquée. Lors des élections professionnelles de début décembre, ces trois organisations ont obtenu 80 % des voix, avec un impressionnant taux de participation de plus de 80 %.

La Place Beauvau a également de quoi s’inquiéter à la vue de la liste des revendications, tant elle semble à la fois fournie et impossible à satisfaire dans ce cadre budgétaire. Les policiers demandent notamment le paiement de leurs quelque 23 millions d’heures supplémentaires en retard. Ce lourd passif est devenu le symbole des conditions de travail des policiers qui enchaînent souvent les missions en ne respectant pas les heures légales de repos. La crise des « gilets jaunes » – qui a provoqué une surmobilisation d’effectifs déjà fatigués en fin d’année – et l’attentat de Strasbourg ont fait exploser les compteurs. A défaut d’un règlement immédiat, rubis sur l’ongle, les organisations veulent que Beauvau fasse un geste « pour amorcer la pompe » et commencer à réduire la facture.

« Incompréhension »

La colère s’agrège également autour de la question des salaires. L’annonce, par Emmanuel Macron, d’une prime exceptionnelle pour les agents mobilisés pour les « gilets jaunes » n’a pas suffi. Elle ne concernera que 80 000 personnes sur les 150 000 fonctionnaires que compte la police nationale. « Ça ne calmera absolument rien, les policiers ne veulent pas se faire acheter avec une prime », prévient Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP-Police-FO, qui réclame une augmentation de 115 euros au premier janvier pour tous les gardiens de la paix.

Une demande qui fait écho aux annonces d’Emmanuel Macron sur les salaires proches du smic. « Les propositions gouvernementales pour apaiser les “gilets jaunes” ont fait naître chez les policiers de terrain une incompréhension, car il n’y a pas eu de mesure particulière pour eux, explique Jean-Claude Delage, secrétaire général d’Alliance Police nationale. Les policiers ont été là, ils ont été le dernier rempart de l’Etat de droit, ils n’ont pas cédé. Ils ont maintenant un besoin de reconnaissance matérielle. »

Au-delà de la question pécuniaire, les syndicats demandent enfin qu’une réflexion globale soit engagée sur les conditions de vie au travail des policiers, qui opèrent souvent avec des équipements dans un état douteux ou avec des moyens humains insuffisants. Un plan de renforcement des CRS est par exemple revendiqué, avec l’annonce de recrutements immédiats. Environ vingt-cinq à trente personnes manquent à l’appel dans la plupart des soixante compagnies de service général, qui ont été lourdement mises à contribution pendant la crise des « gilets jaunes ».

Une amorce de dialogue devait avoir lieu, mardi 18 décembre, avec la réception par le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, des principaux syndicats, les uns après les autres. Pour l’heure, les organisations travaillent séparément et paraissent désunies. Mais la perspective d’une entente changerait la donne dans une profession qui a été secouée ces derniers temps. Si la violence des manifestations a eu tendance à fédérer les troupes, beaucoup de policiers, qui ne gagnent pas des salaires faramineux, avouent en privé se reconnaître dans le discours social des manifestants qui bloquent les ronds-points.

« La plupart des flics ont dans leur entourage des “gilets jaunes” ou des gens qui sympathisent avec le mouvement, ce n’est pas facile d’être tous les jours de l’autre côté de la barricade », explique une source policière. Les autorités n’ont cependant pas constaté pour le moment de dérapage de fonctionnaire qui aurait pris part au mouvement : les policiers sont tenus à un droit de réserve, et s’ils ont le droit de se joindre à la mobilisation à titre personnel et en civil, défiler en tenue leur est interdit.

Un tabou qui pourrait rapidement tomber. Si les revendications ne sont pas satisfaites en début d’année, Unité SGP-Police-FO appellera les autres organisations à une grande manifestation en intersyndicale, le 26 janvier.