Le Conseil d’Etat a enjoint vendredi 14 décembre à la ministre des armées de mettre à l’abri dans un délai de huit jours un ancien interprète afghan de l’armée française, menacé de mort dans son pays, et de réexaminer sa demande de visa. Statuant en référé (procédure d’urgence), la plus haute juridiction administrative a annulé une décision du 27 septembre du tribunal administratif de Paris, qui avait débouté ce ressortissant afghan, ayant exercé en 2010 et 2011 les fonctions d’interprète auprès des forces françaises alors déployées en Afghanistan.

Il avait d’abord sollicité en juin 2015 la délivrance d’un visa de long séjour dans le cadre du dispositif de réinstallation des « personnels civils de recrutement local » (PCRL) employés par l’armée française, ce qui lui avait été refusé un an plus tard. Blessé par balles en juillet 2017, puis lors d’un attentat le 22 novembre 2017 dans son village, il avait fait l’objet de nouvelles menaces de mort liées à sa qualité d’ancien auxiliaire de l’armée française, l’obligeant à fuir et à se réfugier à Kaboul il y a trois mois.

Une précédente demande de protection fonctionnelle, formulée auprès du ministre de la défense, étant restée sans réponse, il s’était tourné vers la justice administrative. « La carence des autorités publiques françaises est de nature à exposer [l’ex-interprète], de manière caractérisée, à un risque pour sa vie et à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », a relevé le Conseil d’Etat.

« Carence des autorités françaises »

La juridiction enjoint donc à la ministre des armées « de mettre en œuvre dans un délai de huit jours (…) toute mesure de nature à assurer la mise en sécurité immédiate du requérant et de sa famille, par tout moyen approprié, tel que le financement d’un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul ». Il est également enjoint aux ministres des armées, de l’intérieur et des affaires étrangères de réexaminer sa demande de visa « dans un délai de deux mois ».

De 2001 à 2014, 770 PCRL ont collaboré avec l’armée française en tant qu’interprètes, chauffeurs ou employés de maison en Afghanistan. Depuis le retrait des troupes françaises en Afghanistan, ces centaines d’Afghans ayant travaillé pour l’armée française se retrouvent en danger. Beaucoup d’anciens interprètes sont menacés par les talibans.

En 2012, la France a lancé une première procédure d’attribution de visas, suivie d’une seconde en 2015. Les demandes affluent. Ces deux procédures ont conduit à l’accueil de 176 auxiliaires afghans en France, soit 550 personnes en incluant les familles. Sur 252 demandes déposées en 2015, 152 ont essuyé un refus. Sur ces 152, six ont obtenu une victoire d’étape devant le Conseil d’Etat, qui a ordonné aux autorités le réexamen de leurs demandes.

La dernière procédure de « relocalisation » s’est déroulée cet automne, avec le dépôt de 180 dossiers. Caroline Decroix, vice-présidente de l’Association des interprètes afghans de l’armée française, créée en août 2016 pour leur apporter une assistance juridique, déplore que le processus ait été « clos en ne prenant que 43 dossiers sur 180, même pas les 90 présélectionnés par le [ministère de] la défense, laissant de côté les personnes en exil et ne notifiant aucune décision à tous ceux qui n’ont pas été convoqués ».

L’appel à l’aide d’un ex-interprète de l’armée française en Afghanistan
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