Etre un David au milieu d’une forêt de Goliath. La métaphore sied aux petites universités françaises, liées à des villes de taille intermédiaire. Des villes et des universités qui ne sont ni grandes ni petites, interstices urbains entre Paris, Lille, Lyon, Marseille et Strasbourg. Des points d’équilibre régionaux qui, dans la rivalité mondialisée des universités, doivent conquérir et assumer une place dans le classement de Shanghaï. Loin derrière les champions anglo-saxons que sont Harvard, Stanford et Cambridge.

« Les classements mondiaux ne nous intéressent pas mais ils nous percutent, tonne Denis ­Varaschin, historien et président de l’université de Savoie-Mont-Blanc, à Chambéry. A l’heure de faire le meilleur choix d’orientation, des parents m’interrogent sur notre présence dans le classement de Shanghaï. Ils ne savent rien de la manière dont il est réalisé et n’imaginent pas que, pour leur futur étudiant, il est préférable d’avoir un établissement qui l’encadre alors que se type de palmarès privilégie la recherche. » Alors les établissements s’adaptent, parfois épaulés par les collectivités territoriales, ils tissent un écosystème pour convaincre les futurs étudiants de rester : qualité de vie, transports, logements et enseignement de qualité.

Dynamique démographique

Cette nouvelle compétition, à laquelle doivent se livrer ces universités intermédiaires, a pris place en France avec le nouveau millénaire. « L’heure est au resserrement et à la concentration des moyens sur de grands pôles régionaux de formation et de recherche. Les années 2000 prônent le développement de territoires compétitifs qui passe par le renforcement des grands pôles métropolitains au détriment des sites des villes moyennes », analysent Rachel Levy et Catherine Soldano, maîtresses de conférences à Toulouse, dans L’Université et ses territoires (éditions Presses universitaire de Grenoble, 2015).

Cette forte attraction des métropoles, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche la mesure à travers les effectifs par académie. A elle seule, en 2017, l’Ile-de-France concentrait 26,4 % des effectifs étudiants. Derrière, Lyon, Lille, Toulouse, Nantes et Bordeaux en rassemblaient 29,7 %. Par rapport à 2016, les effectifs croissent partout, sauf à Reims, Rennes, Besançon, et les normandes Caen et Rouen. « C’est le résultat des politiques successives de métropolisation de l’enseignement supérieur », souligne Arnaud Robinet, maire LR de Reims.

Mais pas seulement. Ces chiffres « ne reflètent par forcément l’attractivité des territoires, estime François Rio, délégué général de l’Association des villes universitaires de France, car la dynamique démographique des territoires est le principal facteur de la densité de la population estudiantine ». Dans des villes comme Poitiers, Reims, Besançon, maintenir une forte attractivité est crucial pour conserver sa jeunesse.

« A Reims, nous proposons un logement sur mesure, une offre sportive et culturelle, un Noctambus… », affirme Arnaud Robinet, maire LR de Reims

Faciliter l’accueil et l’attractivité de la vie étudiante figure parmi les priorités affichées par les édiles. « Nous avons mis en place des dispositifs sur l’accès au logement, la mobilité et une politique culturelle pour que des événements nourrissent la vie de la ville tout au long de l’année », assure Alain Claeys, maire socialiste de Poitiers. Idem à Besançon, dans le Doubs, où l’offre de logements « à un prix correct de 300 euros par mois est un vrai facteur d’attractivité », assure Anthony Poulin, conseiller municipal EELV, délégué à la vie étudiante. A Reims, qui compte 28 500 étudiants sur son territoire, Arnaud Robinet promet « un logement sur mesure, une offre sportive et culturelle » ainsi qu’« un Noctambus pour se déplacer la nuit entre les lieux de festivités étudiantes ».

Pari réussi. Anaïs Fontanel, en deuxième année de droit à l’université de Besançon, loue « des infrastructures excellentes et un cadre de vie agréable ». A Poitiers, Pierre Gautier, en 3e année de gestion, se félicite de passer ses années étudiantes dans « une ville abordable et agréable à vivre ». Même s’il regrette un plan de transport insuffisant et des « bus surchargés ».

Les collectivités territoriales, particulièrement soucieuses de maintenir une dynamique économique locale, s’inquiètent de la pérennité et du développement d’établissements d’enseignement supérieur, principaux fournisseurs des talents qui nourriront le tissu entrepreneurial. « Lorsqu’une entreprise étudie son installation sur un territoire, la première question qu’elle se pose, c’est : “Pourrai-je recruter les compétences dont j’ai besoin ?” », souligne le maire de Reims.

Retombées à l’international

Entreprises, collectivités et universités vivent en symbiose. Si l’une disparaît, les autres chancellent. « Quand un jeune, prometteur, quitte le territoire, il ne revient pas. Il est nécessaire de soutenir l’université afin qu’elle réponde aux besoins locaux, que les entreprises puissent s’appuyer sur des laboratoires de bon niveau, souples et réactifs », insiste Denis Varaschin. Selon Rachel Levy et Catherine ­Soldano, les acteurs locaux ont développé des stratégies pour accueillir les étudiants dès les années 1990.

Leurs objectifs : « Etoffer une offre de formation attractive et favoriser les transferts de technologie, voire implanter des activités de recherche dans ces villes. Le déplacement des enjeux vers l’excellence, la visibilité internationale et l’innovation les oblige maintenant à opérer des sauts qualitatifs sur l’organisation des filières de formation et de recherche pour s’insérer dans les projets régionaux de développement scientifique. »

L’université est bien un partenaire indispensable du tissu local. « C’est un moteur extrêmement puissant de l’économie, de l’innovation et donc de la création de valeur, rappelle Pierre Veltz, sociologue et économiste. L’université est en elle-même une entreprise locale, avec ses emplois et ses emplois induits. »

Pour prendre la mesure du poids de l’enseignement supérieur dans ces villes intermédiaires, le maire de Reims calcule que, sur sa commune, « un habitant sur six est étudiant ». Le ratio monte à 20 % à Besançon. Poitiers compte pour sa part 27 000 étudiants pour 100 000 habitants. « L’ADN de la ville, c’est ses étudiants et sa recherche », se félicite Alain Claeys.

« Réhabiliter le campus, construire des équipements, les gérer… Les collectivités territoriales savent le faire, pas les universités », selon Dominique Schauss, vice-président (LRM) du Grand Besançon

Enfin, les universités d’interstices ne laissent pas aux seules grandes métropoles le pouvoir d’attirer les étudiants internationaux. A Reims comme à Poitiers, les collectivités se sont démenées pour convaincre Sciences Po Paris d’installer un campus sur leur territoire. « Le département, l’agglomération et la région ont investi 70 millions », décompte Arnaud Robinet. Dans la capitale du champagne, la grande école parisienne accueille plus de 1 000 étudiants sur site, dont plus de la moitié sont internationaux.

A Poitiers, qui compte 4 000 étudiants étrangers, le campus Sciences Po s’est centré sur l’Amérique du Sud, l’Espagne et le Portugal, pour porter son internationalisation. « Ces étudiants sont les futurs ambassadeurs de notre ville, espère son maire. Ils sont bien plus puissants en matière de communication que toute la publicité institutionnelle que nous pourrions faire. »

On note un bémol toutefois dans cette idylle entre universités et villes moyennes : Dominique Schauss, vice-président (LRM) du Grand Besançon chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, en témoignait, mercredi 5 décembre, lors d’une conférence sur les « Relations entre la ville et l’université », qui s’est tenue à Sceaux (Hauts-de-Seine) : ­ « Réhabiliter le campus, construire des équipements, les gérer… Les collectivités territoriales savent le faire. Mais les universités ne savent pas. Quand d’un projet nous passons à sa réalisation, les universités n’ont ni les moyens, ni les compétences, ni l’autonomie. »

Gilles Roussel, président de la conférence des présidents d’université, reconnaît : « L’Etat ne nous fait pas confiance. » Les marges de manœuvre des établissements en matière d’investissement sont minces. La loi LRU de 2007, relative aux libertés et responsabilités des universités, renforce l’autonomie budgétaire des établissements, mais elle demeure au milieu du gué. « Il faut dépoussiérer ce mode de fonctionnement », conclut l’élu bisontin Dominique Schauss.