Encore une fois, les sorties mangas de cette fin d’année donnent tort à ceux qui pensent que la BD japonaise est uniforme et qu’ils ne trouveront pas un récit pour leur plaire. En piochant dans différents registres, voici les recommandations de Noël du blog manga du Monde, qui siéront autant aux lecteurs débutants qu’aux habitués exigeants.

  • « Le Tigre des neiges » – une histoire de guerrière

Le Lézard Noir

Akiko Higashimura s’est largement démarquée de ses pairs mangakas au fil de son travail. Avec son plus grand hit, Princess Jellyfish, elle a réussi à moderniser le genre romantique du shojo en mettant en scène, avec beaucoup de dérision et de profondeur, des jeunes femmes geeks, bien loin des stéréotypes féminins classiques. De même, elle s’est forgé un style graphique reconnaissable, à la fois tendre, rond et clair.

Encore une fois, la dessinatrice prend un contre-pied avec Le Tigre des neiges, où elle s’essaie au récit martial et historique. Elle y file une théorie selon laquelle Kenshin Uesugi, puissant et célèbre seigneur de guerre japonais du XVIe siècle, était en réalité une femme. En résulte un récit documenté et argumenté, moderne et féministe, qui fait la part belle aux scènes du quotidien et à des incursions humoristiques, ce en quoi la mangaka excelle. Celle-ci, que l’on imagine volontiers fantasque, se met même en scène dans le manga pour distraire ses lecteurs et rompre la monotonie des faits historiques.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment les mangas historiques, les histoires avec des héroïnes intéressantes, les fans de Princess Jellyfish.

Le Tigre des neiges, tome I, de Akiko Higashimura, traduction de Miyako Slocombe, éditions Le Lézard noir, 13 euros.

  • « Battle Game in 5 seconds » – de l’action et de la stratégie

Doki Doki

A première vue, Battle Game in 5 seconds est un manga fantastique comme on en voit beaucoup. Il met en scène un jeu macabre où des personnes de tout âge, de toute catégorie sociale, aux looks variés et archétypaux, ont été prises en otage par une mystérieuse organisation et doivent s’affronter. Mais ce sont véritablement le héros et son intelligence qui confèrent à ce récit une certaine originalité. Akira, lycéen fan de jeu vidéo, à la logique et au sang-froid redoutables, va s’avérer être un adversaire beaucoup plus tenace que son physique ne le laisse deviner.

Le sort de ce petit génie, qui ressemble quelque peu à Light Yagami, le héros de Death Note, va s’avérer d’autant plus palpitant quand les geôliers vont attribuer aux combattants un pouvoir à chacun en guise d’arme. Car ce n’est pas tant par la force qu’Akira va devoir se défendre mais avec sa capacité à faire naître auprès de ses adversaires le sentiment qu’il est imbattable. Encore une preuve que les mangas d’action les plus intéressants sont souvent les plus cérébraux.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment les combats, la stratégie et les jeux vidéo, les arènes avec de nombreux personnages, les héros à gros QI, ou qui ont aimé des mangas comme Area D ou Bungo Stray Dog.

Battle Game in 5 seconds, tomes I, II et III, de Kashiwa Miyako et Saizou Harawata, traduction de Pascale Simon, édition Doki Doki, 7,50 euros.

  • « Par-delà les étoiles » – une nouvelle romantique

Akata

La mangaka Rie Aruga fait forte impression en France avec sa série Perfect World, qui tisse avec justesse et sans mièvrerie les difficultés que peut traverser un jeune couple lorsque l’un des deux amants est handicapé. En véritable maîtresse du shojo (ce genre de manga romantique destiné aux jeunes filles), la dessinatrice offre à la fois un regard classique de ces comédies ou drames romantiques tout en prenant soin d’insérer, sans artifice, une certaine diversité sociale.

Akata, son éditeur français, a décidé de rassembler en un volume les quelques chapitres d’une de ses premières histoires publiées : Par-delà les étoiles. Dans cette œuvre de jeunesse, elle raconte les débuts à l’université d’une jeune femme, Hana, qui va tenter d’oublier un amour impossible en intégrant un club d’astronomie. Un manga un peu vert en comparaison du travail bien abouti de Perfect World, mais qui montre déjà tout le talent de Rie Aruga pour maîtriser la mélancolie et l’optimisme de ses personnages.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment les histoires courtes, qui souhaitent découvrir le style shojo ou sont fans de Rie Aruga.

Par-delà les étoiles, en un volume, de Rie Aruga, traduction de Chiharu Chûjo, éditions Akata, 6,99 euros.

  • « Radiant » – une série d’aventures

Ankama

Publié à partir de 2013, Radiant est revenu sur le devant de la scène cet automne : c’est la première fois qu’un manga made in France obtient son dessin animé japonais, une marque de prestige. La série raconte l’histoire de Seth, un jeune garçon issu de la caste des sorciers, une communauté rejetée bien qu’elle sauve des vies humaines en combattant les Némésis, des créatures tombées du ciel qui tuent et contaminent.

Pour expliquer sa recette, son créateur, Tony Valente, parle volontiers de « faire une salade avec tout ce qui [le] suit depuis l’enfance ». Ce fan de One Piece ou Naruto détaille : « D’aussi loin que je m’en souvienne, ça m’a toujours fait rêver, les bateaux volants, la fantasy aérienne avec des nuages, des vaisseaux en bois. » Une esthétique à laquelle il a ajouté des éléments de folklore et d’histoire européenne, comme la sorcellerie ou l’Inquisition. « Une histoire universelle avec un glaçage européen », en résumé.

Radiant est d’autant plus remarquable qu’il porte un discours politique plutôt fort, avec un regard sur la notion d’étranger, le racisme, l’immigration. Les sorciers de Radiant sont des humains qui ont survécu à une contamination des monstres Némésis. Ils en portent des stigmates visibles et sont craints par le reste de la population, traités de voleurs et de bons à rien, persécutés par l’Inquisition.

Au fil du manga, le héros affronte ce traitement injuste et décide, pour mettre un terme à cette discrimination, de rechercher le berceau des Némésis pour le détruire. Tout en gardant une belle dose d’humour.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment les mangas de shonen nekketsu comme Naruto, les séries d’aventures et d’humour, les héros attachants.

Radiant, tomes I à X, de Tony Valente, éditions Ankama, 7,95 euros.

  • « Deepsea aquarium Magmell » – un récit contemplatif

Vega

Mag Mell est un peu le Valhalla de la mythologie celtique, un lieu de l’au-delà peuplé de divinités et de plaisirs. Dans ce récit paru chez Vega, nouveau label manga des éditions Steinkis, c’est aussi le nom donné à un aquarium sous marin au large de Tokyo où ses visiteurs peuvent contempler calamar géant et autres créatures des abysses. C’est dans ce lieu magique et surprenant que le jeune Keitaro Amagi, passionné de biologie marine depuis sa tendre enfance, se fait embaucher comme balayeur. Discret et érudit, le jeune homme va apprendre à s’affirmer et changer le cours de son destin auprès des touristes et collègues, au contact du directeur du complexe marin, Otosezaki Minato.

Si les dialogues et les enjeux de cette première série de Kiyomi Sugishita sont encore un peu faibles, Magmell offre un dessin délicat et une découverte en douceur des fonds marins. La mer a beau être un élément récurrent de la fiction japonaise, ce manga en offre une perspective différente, pour ne pas dire immersive.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment apprendre sur la faune et la flore, les BD avec des décors naturels et travaillés, les récits optimistes, qui ont une fibre écolo.

Deepsea aquarium Magmell, tome I, de Kiyomi Sugishita, traduction de Satoko Fujimoto, éditions Vega, 8 euros.

  • « Le Rêve de mon père » – un manga de maître

Kana

Qui a dit que le manga japonais était une forme de BD uniformisée et sans aspérité stylistique ? Ceux-là doivent lire absolument Taiyô Matsumoto, l’auteur de séries inoubliables telles qu’Amer Béton, Ping Pong ou Sunny. Alors que se profile une rétrospective de son œuvre au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (du 24 au 27 janvier 2019), son éditeur français, Kana, propose la traduction d’un récit datant de ses débuts dans le métier, Le Rêve de mon père, qui marque un tournant dans l’affirmation de son écriture et de son dessin. Le mangaka y développe un thème qui lui est cher, l’enfance malmenée, à travers la relation conflictuelle et affective qu’entretiennent un père séparé et son fils.

Le premier, Hanao, a quitté le foyer familial pour se vouer à sa passion, le base-ball, persuadé qu’il peut encore devenir un joueur professionnel alors qu’il a presque 30 ans ; le second, Shigeo, âgé d’une dizaine d’années, ne jure que par les études. Alors qu’il a prévu de consacrer ses vacances à des cours de soutien scolaire, sa mère l’envoie passer l’été chez ce père aveuglé par ses rêves.

Toute la force de ce premier volume (deux autres suivront) tient dans l’inversion des traits dominants. La maturité et la raison sont très clairement du côté de l’enfant ; la légèreté et une certaine innocence, du côté du père. Si l’on ne choisit pas sa famille, on peut choisir son destin, souligne ici Taiyô Matsumoto, qui a lui même passé sa jeunesse dans un orphelinat. Par petites touches, l’auteur fait affleurer les violences qui agissent derrière l’obsession de la réussite dans la société japonaise. La démonstration serait moins limpide sans un dessin basculant sans cesse entre fragilité et nervosité.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui aiment les histoires de famille, les récits réalistes, la poésie du quotidien.

Le Rêve de mon père, tomes I et II, de Taiyô Matsumoto, traduction de Thibaud Desbief, éditions Kana, 12,70 euros.

  • « Mujirushi, le signe des rêves » – Le Louvre mis à l’honneur

Futuropolis

Dans ses mangas, Naoki Urasawa a l’habitude de bâtir des intrigues entre le Japon et les pays occidentaux. L’Allemagne dans Monster, la Grande-Bretagne dans Master Keaton, l’Amérique pour Billy Bat… et maintenant la France. Paris, précisément. Raconter le Louvre, à la demande du musée pour sa collection BD lancée avec les éditions Futuropolis, n’avait rien d’effrayant pour ce maître du manga mis à l’honneur au dernier Festival d’Angoulême.

De cette commande résulte une histoire abracadabrante, en deux tomes, où Urasawa enchevêtre un hommage à la culture française, une enquête internationale et une comédie sociale. L’histoire d’un artisan ruiné et de sa petite fille qui vont devenir les rouages d’une arnaque au cœur du Louvre, menée par le supposé directeur de l’Institut de France à Tokyo.

Inspiré d’Iyami, un personnage filou, gaguesque et populaire du manga des années 1960, l’obséquieux bonimenteur se prétend ami de François Mitterrand et de Sylvie Vartan. Le lecteur, dérouté d’office – c’est une coutume chez Naoki Urasawa –, reste sous bonne escorte grâce au talent du maître qui, avec économie de traits et de mots, sait exploiter à bon compte les défauts de la nature humaine.

C’est plutôt pour : celles et ceux qui ont des réticences à lire dans le sens de lecture japonais, qui aiment les grands formats et la BD franco-belge, les amateurs de polar.

Mujirushi, le signe des rêves, tomes I et II, de Naoki Urasawa avec Fujio Productions, traduit du japonais par Ilan Nguyên, Futuropolis-Louvre éditions, 20 euros.