A Beni, dans l’est de la RDC, le 5 décembre 2018. / Goran Tomasevic / REUTERS

Ces derniers temps, il ne fait pas bon être un diplomate occidental à Kinshasa. Nombre d’entre eux franchissent d’ailleurs le fleuve Congo pour rejoindre Brazzaville ou rentrent dans leurs pays « par mesure de sécurité ». En République démocratique du Congo (RDC), ils n’ont plus vraiment l’opportunité d’exercer leur art. « Ils ont joué et ils ont perdu. Maintenant le jeu continue, mais sans eux », s’amuse un diplomate d’une puissance régionale en poste à Kinshasa.

Les élections présidentielle, législatives et provinciales, censées se tenir dimanche 23 décembre et ouvrir la voie à la première alternance politique – sans putsch ni assassinat ciblé – de l’histoire du pays, se préparent sans aucune aide ni intervention des partenaires occidentaux, écartés par le régime de Joseph Kabila et privés de contacts privilégiés. La mission des Nations unies en RDC, la Monusco, dont le départ est souhaité par Kinshasa, a vainement proposé son soutien logistique et bloqué jusqu’au 15 décembre des aéronefs au cas où la Commission électorale nationale indépendante (CENI) aurait exprimé des besoins. Pourtant, cet appui onusien a été crucial lors de l’élection de 2011, jugée « peu crédible », dans ce pays vaste comme l’Europe occidentale et dépourvu de grandes routes.

Depuis la fin du deuxième et dernier mandat de M. Kabila, il y a deux ans, les offensives diplomatiques, renforcées par des sanctions économiques de l’Union européenne (UE) et des Etats-Unis, ont irrité le pouvoir congolais. « Le monde a changé et on ne pense plus les relations internationales à travers l’UE, la Belgique ou les Etats-Unis. On n’a pas besoin de leur argent pour organiser les élections », dit André-Alain Atundu, ancien chef du renseignement de Mobutu Sese Seko, aujourd’hui porte-parole de la majorité présidentielle. Les pressions occidentales n’ont pas non plus manqué d’agacer des pays de la sous-région certes préoccupés par la « stabilité » du géant d’Afrique centrale mais sourcilleux en matière de respect de la souveraineté.

La campagne suspendue à Kinshasa

« Ces sanctions ont été jugées humiliantes et ont pris des allures d’acharnement. Finalement, elles ont été contre-productives car le régime s’est durci », analyse depuis Addis-Abeba un haut cadre de l’Union africaine (UA). Face à une diplomatie occidentale qui a fini par atteindre ses limites et se résigner, les puissances régionales ont pris le relais. Avec sans doute plus de finesse et de tact, conjugués à une fermeté pour tenter de convaincre M. Kabila de quitter le pouvoir et d’organiser ces élections. Non sans mal.

Car l’imprévisible président sortant n’a pas apprécié les tentatives de pression de son puissant voisin angolais, dirigé depuis septembre 2017 par Joao Lourenço, qui a rapidement démantelé le système politico-financier de son prédécesseur. De son côté, l’UA avait proposé à Kinshasa l’aide financière et logistique des pays voisins, comme ce fut le cas en 2006. Sans succès. La semaine dernière, M. Kabila a décliné l’invitation à un sommet extraordinaire de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) sur le processus électoral qui devait se tenir à Windhoek.

En guise d’avertissement, le chef de l’Etat namibien, Hage Geingob, qui préside aussi la SADC, a reçu des leaders de l’opposition congolaise exclus de la course à la présidentielle et a rappelé son attachement à des élections « libres et pacifiques » ; ce que M. Kabila s’apprête à faire, selon ses conseillers, en mettant tout son pouvoir politique, financier et sécuritaire au service de son dauphin, l’ancien ministre de l’intérieur Emmanuel Ramazani Shadary, lui-même visé par les sanctions de l’UE.

Au cours de cette folle campagne, les tribuns haranguant les foules deviennent des dealers d’espoir éphémère pour une partie de la population usée par la violence et la pauvreté, de même que par les manœuvres du pouvoir comme de l’opposition. En province, le pays vit au rythme des meetings dans un climat d’angoisse quant à la réaction des forces de sécurité, qui ont déjà ouvert le feu et tué.

A Kinshasa, la campagne a été suspendue, mercredi 19 décembre, avant les réunions publiques du candidat d’opposition Martin Fayulu et de M. Shadary, qui devait clore la campagne vendredi. « Le gouvernement provincial de Kinshasa décide, pour des impératifs sécuritaires […] la suspension sur toute l’étendue de la capitale des activités de campagne électorale », indique le communiqué signé du gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta, sans préciser la date de fin de cette mesure. 

Dans une rue de Kinshasa, en RDC, le 18 décembre 2018. / JOHN WESSELS / AFP

Plus de 75 000 bureaux de vote

Ces élections se déroulent sur fond de suspicions de fraudes et de compromissions de la CENI, toujours incertaine sur sa capacité technique à organiser les scrutins à temps. « Il y a toujours beaucoup de soucis à se faire », confie un technicien de la CENI qui peine à livrer du matériel électoral dans certaines contrées minées par les groupes armés ou par l’épidémie d’Ebola.

Ce qui laisse craindre un report des élections, des dysfonctionnements et des violences urbaines postélectorales, selon plusieurs diplomates occidentaux réduits à produire des analyses. D’ores et déjà, certains leaders de l’opposition appellent leurs partisans à contester les résultats en cas de victoire de M. Shadary. « Si le candidat de la continuité est déclaré vainqueur, n’acceptez pas ces résultats ! Cela voudrait dire qu’ils ont une fois de plus volé les voix du peuple », a déclaré Félix Tshisekedi, le président du principal parti d’opposition.

Entre une CENI dont la crédibilité est contestée, certains partis à la rhétorique agressive, des électeurs méfiants et une « communauté internationale » écartée, il y a un autre acteur dont la tâche est immense : les observateurs. Là encore, les Occidentaux sont privés de droit de regard. A commencer par l’UE, dont la mission d’observateurs, refusée par la CENI, « n’est pas un gage de bonnes élections », a déclaré M. Kabila lors d’un entretien à la BBC. Il en va de même du Centre Carter, dont l’une des spécialités est l’observation électorale.

Le nombre d’organisations internationales invitées s’est considérablement réduit. Au nombre de sept avec plus de 600 observateurs déployés en 2006 et 2011, elles ne sont plus que quatre avec environ 170 personnes. Seules l’UA, la SADC, la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale et une mission parlementaire de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, jugées moins critiques et peu efficaces par les analystes, sont de la partie. S’ajoute l’Organisation internationale de la francophonie, limitée à une « mission d’information et de contact » qui ne jouera aucun rôle crucial.

Ces organisations régionales pâtissent du manque de moyens et de personnel pour couvrir les plus de 75 000 bureaux de vote répartis sur l’immensité du territoire congolais. « On aurait aimé et on a demandé à avoir plus d’observateurs pour être au moins une centaine », confie un diplomate de l’UA.

L’Eglise catholique très impliquée

Face à la faiblesse de ces dispositifs, la lourde responsabilité de valider ou contester les résultats qui seront proclamés par la CENI incombe à des organisations congolaises. « Nous avons mobilisé 40 000 observateurs accrédités, contre près de 6 000 lors de la précédente élection. Ils sont bien préparés, avec une méthodologie rigoureuse qui permettra de confirmer les résultats ou de mettre à nu des tricheries », précise l’abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo.

L’Eglise catholique, très impliquée dans le processus politique et qui n’a pas hésité à cornaquer des manifestations brutalement réprimées, orchestre cette armée d’observateurs neutres et indépendants en lien avec d’autres organisations de la société civile et la SADC. « Il y a une tendance à concentrer les observateurs à Kinshasa, le déploiement a pris du retard et les grilles d’observations ne sont pas encore mises en place », déplore un responsable d’une ONG congolaise qui craint une coupure des télécommunications par le régime, ce qui « mettrait à mal tout le dispositif d’observation ».

De leur côté, les partis politiques tâtonnent, mal préparés et dépourvus de budget, aspiré par le coût élevé des candidatures ; à l’exception de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), de M. Tshisekedi, qui a formé et prévu un nombre important de témoins accrédités par la CENI et autorisés à consigner sur procès-verbal leurs observations. « Ceux qui ont appelé à boycotter les scrutins ont pris du retard. On va plutôt compter sur les missions nationales et citoyennes », souligne Sylvain Lumu, expert électoral indépendant. Toutefois, nombre d’observateurs congolais n’ont pu recevoir les formations d’experts internationaux, dont les visas n’ont pas été délivrés.

La « communauté internationale » s’est résignée, cessant ses critiques et pressions sur le régime de M. Kabila, qui a désormais les mains libres pour organiser à sa guise ces élections à hauts risques. « On espère des élections acceptables à défaut d’être crédibles, c’est-à-dire sans trop de fraudes ni trop de morts. On en est là », confie un diplomate occidental. Le Conseil de sécurité des Nations unies a salué, lundi, les « progrès dans la préparation technique des élections » et appelle « toutes les parties à rejeter la violence ». Les partenaires occidentaux ont perdu leur bras de fer face au régime, qui a habilement tourné à son avantage les règles du jeu diplomatique international.

La surveillance de ces scrutins se fera donc sans observateurs occidentaux. Seules l’Eglise catholique et la société civile congolaise seront des arbitres neutres. Leur verdict sera sans doute déterminant et pourrait peser lourd dans la phase postélectorale tant redoutée.