La péniche-librairie « L’Eau et les rêves », amarrée face au 9, quai de l’Oise, sur le canal de l’Ourcq, non loin du parc de La Villette. / L. JEDWAB / « LE MONDE »

Amarrée le long du quai de l’Oise, à Paris, sur le canal menant à La Villette, la péniche « L’Eau et les rêves » semble tout droit sortie d’un film de Jean Vigo. Point de marinier tatoué à la Michel Simon à son bord, mais un jeune couple, Cyrille Bruneau et Cécile Allain, qui anime une librairie consacrée aux jardins et à la nature. Celle-ci partage avec « Jardins en art », l’écrin conçu par Jérôme Marcadé rue Racine, l’héritage de la librairie animée pendant une vingtaine d’années par Françoise Simon dans le jardin des Tuileries. La péniche-librairie veut être un point de rencontres, comme la regrettée Librairie des jardins l’a été pour de nombreux paysagistes, jardiniers, amateurs de jardins ou simples promeneurs curieux qui en ont un jour poussé la porte.

Et si « L’Eau et les rêves » (belle enseigne empruntée au philosophe Gaston Bachelard) ne jouit pas d’un emplacement aussi prestigieux que celui de la place de la Concorde, elle a déjà pour elle quelques atouts non négligeables. A commencer par son originalité même, puisqu’elle est abritée dans les cales aménagées d’une vraie péniche – à qui il est arrivé tout récemment de naviguer... jusqu’à Pantin. Ou grâce à son arrimage sur les bords d’un canal où l’on pique-nique en parlant avec bienveillance de la permaculture et où l’on joue aux boules en évoquant la décroissance parmi les solutions aux maux de la planète. Il y a là une clientèle potentielle que l’univers du jardin, dans toutes ses déclinaisons, ne peut qu’attirer.

Des livres et des dessins, à bord de la péniche-librairie. / L’EAU ET LES RÊVES

Une attraction renforcée par les collations, goûters, apéros et autres brunchs servis à bord, au milieu des livres, dans un cadre aussi plaisant que confortable. Par un samedi pluvieux de décembre, Gilles Clément y est venu amicalement dialoguer avec les auteurs (éditeur, journaliste et dessinateur) d’un joli petit livre conçu avec lui, en partie chez lui, dans la Creuse. Intitulé La Vallée des papillons, cet ouvrage est né de la rencontre entre le célèbre mais toujours accessible concepteur du jardin du Rayol, dans le Var, et les animateurs de différents projets – paysagers, littéraires et associatifs – menés autour de Bourges.

Le premier de ces projets est l’aménagement en 2019, par Gilles Clément lui-même, d’un jardin dans l’ancienne abbaye cistercienne de Noirlac, aujourd’hui centre culturel de rencontre. Ce jardin serait ainsi le second à porter son empreinte dans le département, après celui de Lazenay, à Bourges même, créé en 1994, véritable repaire de biodiversité en ville, avec ses nombreuses espèces végétales spontanées. Parmi les autres projet entrepris figure la tenue d’ateliers d’écriture, autour des rencontres entre Gilles Clément et des enfants des écoles ainsi qu’avec des adultes, ayant débouché sur la réalisation d’un journal, D’un jardin à l’autre.

Le paysagiste, « jardinier » et écrivain Gilles Clément, lors de la présentation du livre « La Vallée des papillons ». / L. JEDWAB / « LE MONDE »

Trait d’union entre ces différentes initiatives : une maison d’édition associative, Les Mille Univers, animée par Frédéric Terrier, qui pratique encore en partie la composition typographique à l’ancienne, c’est-à-dire avec des caractères... en plomb. C’est à l’occasion d’une résidence d’écrivain à Bourges que Gilles Clément a entamé un dialogue avec le journaliste Dominique Delajot, lui-même impliqué dans les activités de l’association. De ce dialogue prolongé dans la Creuse naîtra ce livre, enrichi des dessins de Louis Jourdan réalisés dans le jardin du paysagiste, qui s’intitule lui-même « jardinier ».

Grâce aux subtilités d’une typographie aérée, les propos de l’auteur font participer le lecteur à ses rencontres avec Gilles Clément et donnent à voir, jusque dans leurs applications, les concepts de jardin en mouvement ou de jardin planétaire. En retour, celui-ci réagit avec ses propres phrases aux mots comme « enclos » ou « brassage » proposés par son interlocuteur. La simplicité évidente du discours, comme toujours chez l’auteur du Salon des berces, est le fruit d’une exacte connaissance scientifique et d’une riche expérience acquise sur le terrain, du Gabon à l’Indonésie, du Costa-Rica à la Creuse.

LES MILLE UNIVERS

Sur la péniche, devant un petit auditoire conquis, Gilles Clément « s’emporte » à sa manière, c’est-à-dire réagit d’une voix toujours douce, et non sans humour : « Il faut arrêter d’employer les mots “développement durable”. Parce que ces mots veulent bien dire quelque chose. Le développement, c’est lié à la croissance. Et la croissance, ça n’est pas compatible, dans un espace fini, avec le métier qu’on fait [paysagiste], ni même avec la pensée du futur. La durabilité n’existe pas ! Tout change. Tout évolue. Tout le temps. Le jardinier, il le sait, parce que tous les matins il trouve un truc nouveau. »

Et de renchérir, en guise de conclusion : « Les mots ont énormément d’importance. Je suis choqué qu’on emploie “environnement”. Il faut virer ce mot ! Je propose : milieu ambiant. Le vivant, l’habitat, l’écosystème, ça fonctionne. “Environnement”, ça veut dire qu’on est en dehors, qu’on s’extrait. Comme si on ne faisait pas partie de la vie, de la nature... »

Péniche-librairie « L’Eau et les rêves », 9, quai de l’Oise, Paris 19e. Prochains événements : mercredi 19 décembre, à partir de 17 heures, présentation du livre Des bouquets toute l’année, de Stéphane Pennetier (E/P/A éd.) ; vendredi 21 décembre, à partir de 17 h 30, présentation du prix Saint-Fiacre 2018, Mon jardin en hiver, de Snezana Gerbault (Delachaux et Niestlé éd.). La Vallée des papillons. Gilles Clément, les chemins et les mots, de Dominique Delajot, dessins de Louis Jourdan, Les Mille Univers, 84 p., 13,50 €.