De gauche à droite, au premier rang : le président du Conseil des ministres polonais Mateusz Morawiecki, la présidente éthiopienne Sahle-Work Zewde, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président rwandais Paul Kagame, lors du forum Europe Afrique, à Vienne, le 18 décembre 2018. / JOE KLAMAR / AFP

Chronique. A coup de visites officielles, d’annulation de dettes, d’accords de coopération militaire et économique, la Russie multiplie les opérations de séduction pour marquer son « grand retour » en Afrique, après plusieurs décennies d’absence. Mais, alors que tous les projecteurs se braquent sur ce regain des relations entre Moscou et le continent, la progression des pays issus de l’ancien bloc de l’Est en terre africaine passe, elle, presque inaperçue.

Toutefois, comme leur ancien « frère » et tuteur soviétique, des Etats tels que la Pologne, la Hongrie et l’ancienne Tchécoslovaquie (aujourd’hui scindée entre République tchèque et Slovaquie) ont joué un rôle non négligeable durant la guerre froide, tant dans la propagation de l’idéologie socialiste contre « l’impérialisme occidental » que, plus surprenant, dans la coopération économique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Au début des années 1980, l’investissement cumulé des Etats d’Europe centrale et de l’Est en Afrique comptait pour plus de la moitié des investissements totaux provenant de l’URSS », rappelle Stefan Cibian, expert au sein de l’Institut royal des affaires internationales (Chatham House) au Royaume-Uni. Mais voilà, l’histoire a voulu que le mur de Berlin tombe en 1989, contribuant ainsi à leur quasi-retrait du continent.

De belles cartes à jouer

C’est cette dynamique qui s’inverse aujourd’hui. Depuis quelques années effectivement, la lune de miel semble reprendre entre l’Afrique et les « ex-camarades communistes ». Pourtant, force est de constater qu’a priori, le potentiel qu’ils offrent n’a pas de quoi susciter un vif intérêt en vue de nouer des relations commerciales, notamment face aux avances financières proposées par les géants asiatiques et occidentaux présents en Afrique. En effet, ils ne possèdent pas les fonds qui leur permettraient de rivaliser avec les 60 milliards de dollars (52 milliards d’euros) d’aide promis par Pékin ou, plus modestement, les 6 milliards d’investissement présentés par Berlin. Cependant, ils arrivent à tirer leur épingle du jeu, à l’image du champion mondial du numérique qu’est l’Estonie.

Devenue aujourd’hui une véritable « société digitale » où la plupart des interactions entre les citoyens et l’administration se déroulent dans la sphère virtuelle et compte des sociétés technologiques pesant plus d’1 milliard de dollars, le minuscule Etat balte attire l’attention d’un nombre croissant d’homologues africains. Ainsi, le gouvernement de Tallin a matérialisé, il y a quelques jours seulement, plusieurs accords dans le champ du numérique avec le gouvernement béninois de Patrice Talon. Et d’autres, comme le Sénégal, ont déjà affiché leur volonté de faire appel à l’expertise estonienne, notamment dans l’e-gouvernance. Des intentions qui démontrent clairement que les pays d’Europe de l’Est, à l’image des compétences numériques susmentionnées, ont de belles cartes à jouer sur un continent en pleine mutation technologique et économique.

Retour gagnant

« Première puissance » dans cette panoplie d’Etats ayant été sous le joug soviétique, la Pologne, désormais membre de l’Union européenne, fait aussi valoir, lentement mais sûrement, ses arguments. Au cours des dernières années, la société polonaise Ursus a ainsi remporté, au nez et à la barbe de grands concurrents, plusieurs gros contrats pour la livraison de tracteurs en Ethiopie et en Tanzanie, pour respectivement 110 et 50 millions de dollars.

Autant d’illustrations qui attestent le retour gagnant des pays d’Europe centrale et de l’Est en Afrique. Une tendance qui devrait se poursuivre : la majorité des ex-pays du bloc communiste, désormais rompus au jeu du capitalisme, ambitionnent de faire croître la part africaine dans leurs exportations de 1 à 3 %, ce à court terme. Le « grand ours » russe est prévenu !

Szymon Jagiello est journaliste et observateur depuis Bruxelles de l’actualité africaine.