Le sujet de la défaillance du contrôle des implants médicaux a officiellement fait son entrée au Parlement, mercredi 19 décembre. Trois semaines après les révélations de l’enquête « Implant Files » menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde, Radio France et « Cash Investigation » sont partenaires, les députés ont annoncé la création d’une mission d’information parlementaire. Cette mission, dont les députés Julien Borowczyk (LRM, Loire) et Pierre Dharréville (PCF, Bouches-du-Rhône) ont été désignés comme corapporteurs, devrait débuter ses travaux courant janvier.

« Il y a une forme d’urgence qui s’impose à nous. Nous mesurons chaque jour un peu plus les dégâts que provoque la marchandisation de la santé », explique Pierre Dharréville, pour qui il s’agit de « mettre fin à des agissements graves et de placer les pouvoirs publics devant leurs responsabilités. Le contexte de ces révélations va nous pousser à prendre des dispositions offensives, notamment sur la qualité des produits et sur leur coût », insiste-t-il. L’enquête des « Implants Files » publiée fin novembre révélait les lacunes du système de contrôle et d’évaluation des dispositifs médicaux en France et en Europe. Les implants médicaux, ce sont tous ces objets – les stents, prothèses de hanches, implants mammaires, défibrillateurs ou encore les pacemakers – introduits dans le corps, de manière durable, mais qui n’obéissent pas aux mêmes règles de mise sur le marché que le médicament.

Haute pile de travaux

La création de cette mission d’information semble a priori une bonne nouvelle. Sur la base de ses travaux, et en fonction des préconisations qu’elle formulera, les parlementaires pourront proposer des évolutions législatives. Seulement, il faudrait que son rapport ne finisse pas sur la déjà très haute pile de travaux publiés sur le sujet ces dernières années, et dont les recommandations formulées sont toutes restées aux oubliettes.

Depuis 2011, au moins cinq rapports sur les dispositifs médicaux ont été remis au ministère de la santé. Il y a là le rapport du groupe de travail des assises du médicament (2011). Celui de la mission d’information parlementaire… du Sénat, de 2012, sur les dispositifs médicaux implantables. L’ouvrage coécrit l’année suivante par Eric Vicaut, le responsable du centre d’évaluation du dispositif médical de l’AP-HP. Les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) se sont aussi intéressés à la question et ont publié deux rapports : l’un concerne « l’évolution et la maîtrise de la dépense des dispositifs médicaux » (2010), le second, « la régulation du secteur des dispositifs médicaux » (2015).

Tous ces travaux arrivent aux mêmes conclusions : il y a urgence à réformer le système. Ainsi, au terme des assises du médicament de 2011, le groupe de travail note « un grand retard en matière d’évaluation clinique, notamment un déficit d’évaluation du bénéfice/risque », pointe des normes « très insuffisantes » dont dépend la qualité du marquage CE et décrit la matériovigilance – le signalement des incidents liés aux dispositifs médicaux – comme le « maillon faible » du dispositif actuel.

« Pas de fatalité »

Les sénateurs, après avoir auditionné des dizaines de personnes et s’être rendus aux Etats-Unis, en Suède, à Bruxelles et au Danemark, dénonçaient, eux, dans un document de 167 pages, « les graves lacunes du système européen de contrôle des dispositifs médicaux ». Quant aux inspecteurs de l’IGAS, ils avaient débusqué les « stratégies de contournement » trouvées par les industriels pour que leur nouveau dispositif ne soit pas évalué par les experts de la Haute Autorité de santé (HAS).

Il fallait donc réformer le système ; tous étaient d’accord. « Il n’existe pas de fatalité à voir se répéter les scandales sanitaires ; il importe seulement de remettre la sécurité au premier rang des priorités de l’action publique », insistaient les sénateurs. Or, en dépit de ces constats unanimes, rien n’a pas bougé. Une nouvelle réglementation européenne a été rédigée. Elle doit voir le jour en 2020, mais rien dans les nouveaux textes n’oblige, par exemple, à évaluer les dispositifs médicaux avec la même exigence que les médicaments avant leur mise sur le marché.

Cinq associations, ONG et la revue médicale indépendante Prescrire ont demandé, fin novembre, que les dispositifs médicaux « les plus à risque » fassent l’objet d’une autorisation de mise sur le marché au même titre que les médicaments. La France avait porté cette demande sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais n’avait été suivie que par une poignée de pays dont le plus important était l’Autriche. Sans relâche, pendant plus d’une décennie, le lobby des implants médicaux a œuvré pour faire plier la Commission européenne. Une eurodéputée a confié au Monde qu’en vingt-cinq ans à Bruxelles, il s’agissait de la campagne de lobbying la plus « intense » dont elle avait été témoin. A la seule exception de celles des fabricants de tabac.

Ce qu’il faut savoir sur l’enquête « Implant Files »

Les « Implant Files » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 59 médias partenaires, dont Le Monde. 

  • Au cœur de l’enquête : les dispositifs médicaux. Plus de 250 journalistes ont travaillé sur les incidents occasionnés par ces outils censés aider les patients (de la pompe à insuline aux implants mammaires en passant par les pacemakers ou les prothèses de hanche).
  • Une absence de contrôle. Ces dispositifs médicaux bénéficient facilement du certificat « Conformité européenne » permettant de les vendre dans toute l’Europe… Et ce, quasiment sans aucun contrôle.
  • Un bilan de victimes très opaque. Seuls les Etats-Unis recueillent de manière détaillée les incidents relatifs à ces dispositifs médicaux. La base américaine compte 82 000 morts et 1,7 million de blessés en dix ans. En Europe, ces informations sont inexistantes, faute de « remontée » systématique et de contrôle.

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