Le président syrien Bachar Al-Assad (à gauche) et son homologue soudanais Omar Al-Bachir, à Damas, le 16 décembre 2018. / STRINGER / AFP

L’image consacre les retrouvailles entre un ancien et un nouveau pestiféré. Le 16 décembre, le président soudanais Omar Al-Bachir était accueilli par son homologue syrien Bachar Al-Assad sur le tarmac de l’aéroport de Damas. Le premier est visé par deux mandats d’arrêts internationaux pour crimes contre l’humanité et génocide émis par la Cour pénale internationale (CPI) en 2010 – ce qui ne l’a pas empêché de visiter une dizaine de pays ces dernières années. Le second, ostracisé, règne sur les restes d’un pays ravagé par sept ans de guerre. Pour leurs opposants respectifs, l’accolade entre les deux hommes est vécue comme un bras d’honneur.

Il paraît loin le temps où le président soudanais s’indignait de la condition des civils syriens. Fanfaron, il menaçait même d’envoyer une armée stopper Bachar Al-Assad. C’était il y a deux ans. Il prédisait alors que son homologue syrien « ne s’en irait pas de lui-même mais serait tué ». Deux années plus tard, ce 16 décembre, Omar Al-Bachir est le premier dirigeant arabe à visiter la capitale syrienne depuis 2011. La Ligue arabe avait alors exclu temporairement la Syrie alors que la répression se déchaînait contre les manifestants.

« Réconcilier les pays arabes »

Que venait donc faire Omar Al-Bachir à Damas ? Faisal Hassan Ibrahim, l’assistant du président soudanais, a livré des éléments sur cette escapade qui « visait [selon lui] à réconcilier les pays arabes et à surmonter les divisions provoquées par la crise syrienne ».

« Omar Al-Bachir n’a ni le poids ni la stature pour imposer un tel rapprochement. La Russie a joué un grand rôle dans cette visite. C’est d’ailleurs elle qui a fourni l’avion qui l’a transporté », note cependant Mohamed Naji, rédacteur en chef de Sudan Tribune, un journal en ligne basé à Paris. Et pas n’importe quel avion : parti de la base aérienne de Hmeimim, le quartier général des forces russes déployées en Syrie, c’est un Tupolev gouvernemental aux couleurs de la Fédération de Russie qui est allé chercher le dirigeant soudanais à Khartoum pour le convoyer à Damas, avant de le ramener chez lui.

Moscou a d’ailleurs été la première capitale étrangère à s’exprimer. Le ministère des affaires étrangères a salué la visite du président soudanais et a exprimé l’espoir que la rencontre contribue « au retour complet de la Syrie dans la Ligue des Etats arabes ». La Russie estime même que « le retour rapide de la Syrie dans la famille arabe contribuera de manière significative au processus de règlement syrien, conformément aux principes initiaux du droit international et aux dispositions de la Charte des Nations unies ». Avec Omar Al-Bachir dans le rôle de l’entremetteur, donc.

« Al-Bachir n’a rien à y perdre »

Un rôle qu’il endosserait avec plaisir : « Al-Bachir n’a rien à y perdre. Il a pris les devants [par rapport à d’autres dirigeants arabes] et ça ne lui coûte rien. Khartoum est de plus en plus proche de la Russie. Omar Al-Bachir a effectué une visite à Moscou en novembre 2017 où il s’est montré particulièrement véhément à l’égard de Washington, alors que l’administration américaine avait annoncé un mois auparavant la levée des sanctions qui pesaient sur le Soudan », rappelle M. Naji.

Le président soudanais avait alors dénoncé les « actes agressifs » des Etats-Unis, accusés d’avoir organisé la partition de son pays, et avait même plaidé pour une coopération militaire renforcée avec Moscou. De son côté, la Russie ne cesse elle aussi de renforcer ses liens avec Khartoum : accord sur le nucléaire civil, cartographie des réserves de métaux et d’uranium, dont le pays possède la troisième plus grande réserve au monde – notamment dans les Darfour et les Kordofan, où les conflits armés se poursuivent.

Comme en Centrafrique, les sociétés de sécurité privées, liées au complexe militaro-industriel russe, prennent pied sur le terrain. Evguéni Prigojine, un homme d’affaires qui détient le quasi-monopole dans les marchés d’approvisionnements de l’armée et qui est réputé être derrière la société de sécurité Wagner, est un visiteur régulier du Soudan. Invité à assister à la finale de la Coupe du monde de football le 15 juillet à Moscou, Omar Al-Bachir a, lui, de nouveau été reçu par Vladimir Poutine.

Un pivot de l’influence russe en Afrique

Après avoir offert à Moscou de faire de son pays un pivot de l’influence russe en Afrique, Omar Al-Bachir endosse donc le rôle de factotum dans le monde arabe : « L’objectif de Moscou est de réintégrer Bachar Al-Assad dans le jeu international et régional. Le Soudan joue ce rôle de poisson-pilote », estime M. Naji.

« Le Soudan pratique l’extorsion de fonds diplomatiques. En échange de l’aide dont il peut bénéficier pour briser son isolement, il se met au service des puissances du moment », note une source diplomatique arabe, qui rappelle les renversements d’alliance passés de Khartoum. Le Soudan s’est ainsi spectaculairement rapproché de l’Arabie saoudite avec l’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohammed Ben Salman (« MBS ») à Riyad, a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran en janvier 2016 et a rejoint la coalition formée par le royaume pour combattre les rebelles houthistes au Yémen.

Aucune capitale arabe n’a réagi officiellement à la visite d’Omar Al-Bachir à Damas. Silence des puissances du Golfe qui ont fait leur deuil d’un renversement du régime de Bachar Al-Assad et qui craignent de voir la Syrie satellisée par l’Iran. Qui ne dit mot consent ?