Des troupes américaines près de Manbij, au nord de la Syrie, en mars 2017. / DELIL SOULEIMAN / AFP

Editorial du « Monde ». Donald Trump préfère trancher selon ses instincts plutôt qu’écouter ses conseillers. Il en a administré une nouvelle fois la preuve en décidant, mercredi 19 décembre, de retirer les forces spéciales déployées en Syrie depuis plus de deux ans. Tout ce que son administration compte d’experts du terrorisme djihadiste et du Moyen-Orient plaidait au contraire pour le maintien de cette force de stabilisation, certes dépourvue de tout mandat international, dans un pays devenu la proie des ambitions croisées de la Turquie, de l’Iran et de la Russie. Le président des Etats-Unis a passé outre, fidèle au court-termisme et à l’unilatéralisme qui imprègnent la plupart de ses décisions de politique étrangère.

En l’occurrence, l’annonce semble tenir lieu de stratégie. L’organisation Etat islamique est certes très affaiblie et acculée, mais la nouvelle de sa disparition définitive apparaît pour le moins prématurée. Des milliers de combattants peuvent encore alimenter une guérilla de longue haleine et entretenir un brasier destructeur qui ignore les frontières.

D’autant que les ressorts de leur capacité à se reconstruire restent intacts, à commencer par la nature du régime syrien, débarrassé désormais de toute forme de pression américaine. Ce régime peut crier aujourd’hui victoire, juché sur les épaules de parrains russe et iranien qui ont désormais les mains libres dans une bonne partie du Levant : le nouvel ordre régional bouscule l’ambition de M. Trump d’y réduire l’influence de l’Iran. Comme le résume au Monde Hassan Mohammed, un haut responsable kurde syrien : « Washington avait fixé plusieurs objectifs à sa présence en Syrie. Non seulement ces objectifs ne sont pas remplis, mais le retrait va dans le sens contraire. »

Une trahison pour les forcers kurdes

Le coup est dévastateur pour ceux qui ont combattu les djihadistes au côté des Etats-Unis. Pour les forces locales à dominante kurde désormais placées sous la menace de la Turquie, ce retrait relève de la trahison pure et simple. Washington peut bien annoncer une « nouvelle phase » de la lutte contre l’organisation Etat islamique, en mentionnant le Sinaï et la Libye, le message est clair : les Etats-Unis de M. Trump n’ont que faire de leurs supplétifs. Comme ils semblent se moquer d’un embrasement qui pourrait nourrir à nouveau les vagues migratoires responsables de la fragilisation de leurs alliés européens.

Depuis son élection, M. Trump a eu la chance de ne pas être confronté à une crise internationale d’ampleur. Il s’en est approché dans le dossier de la Corée du Nord, avant d’opter, avec une dose hardie de candeur, pour une ouverture envers Kim Jong-un. L’avenir dira très prochainement si elle a relevé du coup de génie ou de l’incompétence.

Mais les leçons que l’on peut tirer dès à présent de la décision sur la Syrie ne peuvent qu’inquiéter dans cette perspective. L’imprévisibilité que revendique le président s’étend à son administration comme une lèpre. La vacuité avérée des chaînes de décision dévalue la parole des interlocuteurs des alliés comme des ennemis de Washington, susceptibles à chaque instant d’être démentis par celui qui est leur commandant en chef. La boussole de « l’Amérique d’abord » elle-même s’affole lorsque le président arbitre contre ce qui fondamentalement relève des intérêts américains.

Cette « Amérique d’abord » est une chimère lorsqu’il s’agit des périls les plus menaçants pour l’équilibre du monde comme pour la sécurité des Etats-Unis. Et son timonier ne semble malheureusement capable que d’ajouter le chaos au chaos.