Cette capture d’écran montre le lieu où ont été trouvés les corps des deux touristes scandinaves, le 18 décembre, près d’Imlil (Maroc). / 2M / AP

Ce lundi 17 décembre, les habitants du village d’Imlil, dans la région de Marrakech, croient encore à un drame isolé. La police vient de découvrir les corps de deux jeunes randonneuses scandinaves, des traces de violence à l’arme blanche sur leur cou, dans un site isolé du massif du Haut Atlas.

Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans et Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, étaient parties pour un mois de vacances au Maroc. Les deux amies avaient planté leur tente dans cette région montagneuse non surveillée, à dix kilomètres d’Imlil, un petit village réputé pour être le dernier arrêt avant l’ascension du mont Toubkal, le plus haut sommet d’Afrique du Nord.

Alors qu’un acte criminel est d’abord évoqué par les autorités marocaines, la diffusion de deux vidéos sur les réseaux sociaux oriente désormais vers la piste terroriste, redoutée par le Maroc, qui a été épargné par les attaques djihadistes depuis 2011.

« C’est un acte criminel terroriste inadmissible qui ne correspond pas aux valeurs de Marocains ni de la région où il a eu lieu », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, jeudi lors d’un point presse. Parmi les quatre suspects arrêtés, l’un d’eux appartient à un groupe terroriste radical, selon les services de sécurité marocains.

Allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi

Une vidéo d’allégeance à l’organisation Etat islamique (EI) partagée mercredi sur Twitter et Telegram, que Le Monde a pu visionner, met en scène un groupe de quatre personnes, filmées dans une pièce sombre avec un drapeau de l’EI confectionné à la main accroché à un mur.

Trois des quatre hommes qui y apparaissent correspondent aux images des suspects arrêtés par la police marocaine publiées dans la presse. L’un d’eux affirme que la cellule a répondu aux appels de l’« émir des croyants, Abou Bakr Al-Baghdadi », le chef de l’EI, et en « soutien à nos frères de par le monde, et particulièrement nos frères de Hajin [ville détruite] par l’aviation croisée ». Dernier centre de commandement urbain de l’EI en Syrie, cette cité a été reprise par les Forces démocratiques syriennes (FDS) la semaine passée. Les quatre hommes prêtent ensuite allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi.

Les services de renseignement danois (PET) ont indiqué analyser une première vidéo relayée mercredi soir sur les réseaux sociaux, sans être « en mesure de faire d’autres commentaires sur son authenticité », ont-ils précisé, jeudi, dans un communiqué. Ce film, extrêmement brutal, qu’a également pu consulter Le Monde, montre l’assassinat de l’une des deux touristes, égorgée vivante. L’un de ses bourreaux, en dialecte marocain, prononce alors une unique phrase : « Aux frères de Hajin. »

Le double meurtre des touristes scandinaves a secoué les services de sécurité marocains, soucieux de préserver l’image du pays à l’étranger. Après les attaques terroristes à Casablanca en 2003 (trente-trois morts) et à Marrakech en 2011 (dix-sept morts), le Maroc, également important pourvoyeur de djihadistes en Irak et en Syrie, a fait de la lutte antiterroriste une priorité.

Un coup dur pour le tourisme

En plus de renforcer son dispositif sécuritaire et son arsenal législatif, via le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) créé en 2015, le royaume a verrouillé l’encadrement du champ religieux à travers le puissant ministère des habous (affaires religieuses) qui contrôle les lieux de culte, ainsi que la création d’un Conseil supérieur des oulémas.

Depuis, les autorités marocaines communiquent régulièrement sur les moyens déployés et se félicitent d’avoir démantelé plus de cinquante cellules terroristes, dont la moitié était liée à l’EI. Le meurtre des touristes scandinaves est « un coup dans le dos du Maroc et des Marocains », a condamné, jeudi, le premier ministre Saad-Eddine El Othmani.

C’est aussi un coup dur pour le tourisme, un des secteurs clé de l’économie marocaine, qui représente 10 % de la richesse du pays et constitue le deuxième employeur après l’agriculture. Après plusieurs années de quasi-stagnation, le Maroc a enregistré, en 2017, un nombre record de visiteurs avec 11,35 millions de touristes, profitant de son image de pays sûr dans la région.