De nombreux péages ont été la cible d’actions des « gilets jaunes ». Ici le 9 décembre, au péage de La Barque, près de Marseille (Bouches-du-Rhône). / SYLVAIN THOMAS / AFP

« Merci le tribunal. » « Merci la justice. » Etait-ce ironique ? Pas le moins du monde. Dans le brouhaha d’une salle dont le public venait d’accueillir avec un soulagement certain le jugement, deux voix plus fortes que les autres se sont élevées pour dire la satisfaction d’avoir été compris. La présidente, Géraldine Frizzi, ne manqua pas alors de souligner que la justice en question n’avait fait que son travail en droit et en conscience à la lumière des faits. Qu’à cela ne tienne, les applaudissements qui avaient accueilli la clémence de la sentence au terme de trois heures d’une audience crispante des deux côtés de la barre, jeudi 20 décembre au tribunal correctionnel de Digne, résonnait comme une victoire.

Ce n’était pourtant pas gagné, loin de là, lorsque les quatre hommes, visiblement fatigués et anxieux après quarante-huit heures de garde à vue à la gendarmerie et une nuit en détention préventive à la maison d’arrêt, pénétrèrent dans le box des prévenus. Car « la destruction et la tentative de destruction d’un bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes », autrement dit l’incendie volontaire du péage autoroutier de l’A51 à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) suivi de la tentative de commettre la même action une heure plus tard cette fois au péage de La Brillanne, à une quinzaine de kilomètres de là, dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 décembre, n’apparaissaient pas comme des faits mineurs, fût-ce dans le contexte de la révolte des « gilets jaunes ».

« Ce soir-là, on a dérapé collectivement »

Après un mois d’occupation de ronds-points, Laurent, 20 ans, Billal, 21 ans, David, 24 ans, et Didier, 38 ans, ont appris à se connaître. Tous les quatre sont domiciliés dans les environs de Manosque. Le premier est carreleur, gagne 1 140 euros par mois et vit chez son père. Le deuxième est maraîcher saisonnier en fin de contrat, déclare 700 euros par mois et avoue sa passion pour l’ornithologie. Le troisième, le seul à présenter un casier judiciaire portant quatre mentions pour des délits mineurs liés notamment à l’usage de stupéfiants, dit avoir abandonné son emploi de conducteur d’engin forestier pour lequel il était rémunéré 1 200 euros « pour rejoindre le mouvement des “gilets jaunes” ». Il compte ouvrir bientôt un snack avec sa sœur. Le quatrième, l’aîné mais pas le chef, dit être « le décideur de rien du tout. On a pu le croire parce que j’ai une grosse voix. Mais c’est faux. » Il se présente comme chevrier en cours d’installation après avoir été artisan menuisier et s’inquiète pour la centaine de bêtes qu’il a dû abandonner. Au RSA, il est logé par sa mère.

Tous les quatre sont célibataires et tous les quatre se sont retrouvés ensemble, parfois avec d’autres, sur les lieux de l’incendie et de la tentative d’incendie. Qui chargeant des palettes sur le toit de la cabine de péage. Qui poussant des conteneurs à poubelles chargés de pneus. Qui jetant un papier enflammé sur le bûcher ainsi dressé.

« Je me sentais dans une totale impunité. J’ai suivi le mouvement. J’ai agi dans l’euphorie du moment. »

« On a un petit peu débordé », s’excuse maladroitement David. « Vu le contexte, je me sentais dans une totale impunité. J’ai suivi le mouvement. J’ai agi dans l’euphorie du moment », avoue Laurent, le benjamin de l’équipe. « Je me reconnais dans le mouvement des “gilets jaunes” mais pas dans ces actions-là », dit Billal, qui affirme avoir seulement voulu donner un coup de main en déménageant des palettes.

« J’ai agi en connaissance de cause », avoue pour sa part Didier, qui reconnaît avoir mis le feu « pour aider mes amis parce que ça prenait trop de temps (…). On aurait pas dû en arriver là, poursuit-il. Sur le rond-point j’étais plutôt connu pour ramener le calme. Mais ce soir-là on a dérapé collectivement. J’assume ! »

Mansuétude des peines

Longtemps, le réquisitoire sévère du procureur, Stéphane Kellenberger, évoquant « la coaction constituée de la part de véritables casseurs se revendiquant de la solidarité mais faisant courir des risques aux autres », fit craindre le pire aux prévenus et entraîna des murmures de désapprobation et mimiques d’inquiétude dans la salle. Mais seulement jusqu’au moment des réquisitions dont la mansuétude – les peines réclamées de 12, 10 et 8 mois étant toutes assorties de sursis et d’un travail d’intérêt général – furent de nature à alléger la tâche des avocats.

Après une demi-heure de délibérations, la présidente du tribunal correctionnel énonçait des peines de huit mois avec sursis pour Laurent et Billal ; de douze mois avec sursis pour David et Didier. Les trois premiers se voyant en outre infliger 280 heures de travail d’intérêt général à effectuer dans le délai de dix-huit mois. En sortant, un « gilet jaune » confiait : « On part avec le sentiment que la justice a bien jugé. »

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