Ilhan Ahmed, une des principales responsables politiques kurdes de Syrie, le 21 décembre à Paris. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

La lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) se poursuit et elle doit s’inscrire dans la durée. Ce message, les autorités françaises continuent de le répéter, à l’Elysée comme au Quai d’Orsay et à la défense. Elles n’en reconnaissent pas moins que « personne ne peut remplacer les Américains sur le terrain syrien ». L’objectif est donc, dans l’immédiat, de coordonner et ralentir l’abandon américain autant que faire se peut, et surtout d’obtenir des garanties de sécurité, notamment pour les combattants arabo-kurdes des Forces démocratique syriennes (FDS) dont le rôle dans les combats a été déterminant, et continue de l’être.

Coprésidente du Conseil démocratique syrien, qui chapeaute les institutions en place dans le nord-est du pays, Ilhan Ahmed, une des principales responsables politiques kurdes de Syrie, était à Paris le 21 décembre pour évoquer les modalités de ce soutien. « Nous avons exposé à nos interlocuteurs nos craintes au sujet des suites du retrait des Etats-Unis de Syrie et nous avons voulu étudier avec eux ses conséquences catastrophiques pour la lutte contre Daech. Nous souhaitons que les Français restent, et nous savons qu’ils sont contre ce retrait, mais nous savons aussi qu’à ce stade, le départ des Américains entraînera celui des Français », a expliqué au Monde la responsable kurde, soulignant que « le risque principal auquel nous serions confrontés viendrait de la Turquie, qui menace de nous envahir avec ses supplétifs islamistes qui ne sont pas différents des djihadistes de Daech ».

Ilhan Ahmed a appelé les autorités françaises à faire pression sur la Turquie, membre de l’OTAN. « Nous avons envoyé nos fils et nos filles au combat pour la sécurité de l’Europe. Nous avons perdu des milliers de jeunes pour cet objectif », a-t-elle insisté, soulignant qu’il s’agit d’« une obligation morale ». Elle a aussi rappelé les risques qu’impliquerait, pour l’Europe, une invasion du nord-est de la Syrie : « Nous ne serons plus en mesure de contrôler nos prisons, et il faudra craindre que les centaines de djihadistes étrangers que nous y gardons pour le compte des pays occidentaux, dont la France, s’échappent. » « Nos alliés doivent bien comprendre que si nous perdons le contrôle de notre territoire à cause de leur retrait, nous n’allons pas prendre les terroristes étrangers avec nous », a-t-elle précisé.

« Si les Américains se retirent, les Français se retirent »

La dirigeante kurde a notamment rencontré François Sénémaud, nommé au printemps dernier représentant d’Emmanuel Macron pour la Syrie. Les discussions n’ont guère été concluantes. « Côté français, aucun engagement clair n’a été formulé. Si les Américains se retirent, les Français se retirent. Ils disent qu’ils vont faire des efforts sur le plan diplomatique, mais il n’y a rien de concret », soupire une source kurde. Une prudence critiquée aussi par certaines sources proches du dossier à Paris : « Erdogan est incontrôlable. S’il attaque les Kurdes, il ouvrira des horizons pour les djihadistes et permettra une circulation entre Idlib, les zones où Daech est active et l’Irak. Les conséquences sécuritaires pour l’Europe sont incalculables. »

Pour le moment, les opérations françaises en Syrie contre l’EI continuent. « Le but de la France est de faire le job tant qu’il pourra être fait, sans échelle de temps, car les groupes djihadistes sont disséminés en Syrie et jouent aussi avec la frontière irakienne », résume une source proche du dossier. Mais l’irritation face à la décision de Trump, prise contre sa propre administration, et notamment les militaires, au risque de mettre en péril les résultats acquis jusqu’ici sur le terrain, est bien réelle. « Aucun des acteurs de la coalition engagés en Syrie contre Daech ne souhaite rester sur place une fois le travail accompli, d’où la nécessité de lancer un processus de transition politique, mais Donald Trump, en coupant les virages, risque l’accident grave », souligne l’Elysée.

La coalition internationale créée en septembre 2014 pour lutter contre l’EI en Irak et en Syrie n’en reste pas moins sur pied. L’état-major souligne que la décision de Donald Trump « n’a aucune incidence sur la participation de la France » qui mobilise en Irak et en Syrie quelque 1 100 hommes et des moyens aériens et maritimes dans le cadre de l’opération « Chammal ». De leur côté, les Américains, au moins pour le moment, ne comptent pas se désengager d’Irak. A l’Elysée, on veut croire qu’ils pourraient aussi se redéployer rapidement de l’autre côté de la frontière en cas de besoin ou de menace contre les combattants kurdes ou les populations civiles.