A Dosso, dans le sud du Niger, Aissita Hamidou, enseignante de 23 ans, suit des cours d’nformatique pouvoir changer de profession. / Vincent Tremeau / FFMuskoka

Chronique. Ça fait sept mois que Malik* traîne son grand corps de la cuisine au salon. L’entreprise qui employait ce Nigérien de 35 ans a fait face à une crise et s’est vue contrainte de licencier la majeure partie de son personnel. Lui compris. Auparavant mari actif, père d’un garçon, il occupe aujourd’hui ses journées devant la télé. Quand il trouve la force, il sort dans les rues de Niamey, la capitale, discuter de tout et de rien autour d’un thé avec ses collègues d’avant, eux aussi sans emploi.

Sa femme Aïcha*, elle, travaille. Employée dans une banque de la place, elle a été promue conseillère financière quelques jours après le licenciement de Malik. Aïcha gagne plutôt bien sa vie et pourvoit aux besoins de sa famille, d’autant plus durant cette période de crise. Si bien que le poids d’un salaire en moins dans le foyer se fait à peine ressentir.

Une promotion qui arrive à point nommé ? Pas vraiment, car Aïcha était loin de se douter de la crise existentielle que son ascension professionnelle provoquait chez son époux. « Ça m’a fait l’effet d’un poignard dans le cœur. J’ai même été tenté de lui demander de la refuser, mais je me suis ravisé », confesse Malik.

« Si ta femme travaille, elle ne te respectera plus ! »

Cette réaction est symptomatique du malaise qui sous-tend la société nigérienne dès qu’une femme occupe une place par tradition dévolue aux hommes.

Si Aïcha a pu y échapper, il est certain que des femmes ont dû renoncer à faire décoller leur carrière afin de garantir la stabilité et la quiétude de leur couple. Au Niger, une femme qui gagne plus que son époux est une source de conflits potentiels.

Pour mesurer l’ampleur du phénomène, il suffit de poser cette question à quelques jeunes hommes de la capitale. « C’est compliqué… L’homme est le pilier de la famille, c’est à lui à supporter les charges du foyer, confesse Ismaël, 24 ans, célibataire et étudiant en transport et logistique à Niamey. Si j’en ai les moyens, je préfère que ma femme ne travaille pas et reste à la maison. » Moctar, 27 ans, marié et gérant d’une boutique de vêtements, est plus catégorique : « C’est hors de question ! Si ta femme travaille, elle ne te respectera plus, ni tes enfants, ni le reste des gens qui t’entourent. Tu n’auras plus ton mot à dire. Ce genre de situation conduit toujours au divorce », lâche-t-il d’un ton définitif. Salim, la trentaine, père de deux enfants, réagit avec humour : « Si ma femme un jour gagne plus d’argent que moi, au moins je n’aurais plus à payer des uniformes de mariage ! »

A Niamey, un sobriquet a même été inventé pour désigner les hommes que l’on dit « entretenus » par leur épouse : « mijin hadjia », terme haoussa que l’on pourrait traduire par « l’époux de Hadjia ». Cette expression nigérienne féminise le substantif « al-hadj », qui désigne par extension une personne riche, indiquant par là que c’est la femme qui détient le capital financier du couple, qui « porte le pantalon ». De là à redouter d’être dépouillé de ses attributs masculins par la même occasion, il n’y a qu’un pas.

Pouvoir et puissance

Pourquoi une telle peur ? D’aucuns s’abritent derrière des arguments religieux pour justifier leur refus du changement. L’islam reconnaît à la femme musulmane le droit de travailler. Dans la société nigérienne, fondamentalement islamique, c’est une possibilité reconnue, mais pas toujours recommandée. Car on a tôt fait d’oublier que Khadidja bint Khuwaylid, première épouse du prophète Mahomet, était une riche commerçante qui gagnait bien plus d’argent que son mari ! Si leur exemple nous enseigne qu’il est donc possible de partager pouvoir et puissance, des siècles durant, les garçons et les filles ont été façonnés pour incarner des rôles précis. L’homme est le pourvoyeur-dominateur et la femme la soumise qui reçoit. C’est donc moins une question de religion que d’ego. D’ego et de pouvoir.

Mais, aujourd’hui, au Niger, les choses bougent côté femmes. Elles travaillent, entreprennent et créent de la richesse. Le 19 octobre s’est tenue à Niamey la deuxième édition du Forum national pour l’autonomisation des femmes (Fonaf), suivie de la deuxième édition, quelques semaines plus tard, du Salon national de l’entreprenariat féminin (Sanef). Ces deux événements ont suscité un réel engouement. La première avait déjà poussé de nombreuses femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat, engageant une vague libératrice inimaginable auparavant.

Le nombre de femmes qui gagneront plus que leur conjoint est donc mécaniquement amené à croître. Et puisque les femmes constituent la moitié de la population nigérienne, mettre un frein à leur émancipation revient aussi à nuire à la société tout entière. Les mentalités doivent donc évoluer. Pour le bien de tous.

*Les prénoms ont été changés.

Issaka Mounkaïla est un Nigérien de 25 ans passionné de culture. Il critique livres et films dans ses nombreux articles de blog. Architecte dans un bureau de Niamey, lecteur de grands auteurs africains, il se décrit comme un « passionné introverti ». Il n’hésite pas pour autant à plonger les mains dans les rouages de la société nigérienne pour en sortir des analyses fines sur les mœurs et les traditions de son pays.

Cette série a été réalisée dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds français Muskoka.

Sommaire de notre série Amour et sexualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest

Le Monde Afrique, en partenariat avec le Fonds français Muskoka, a enquêté sur la jeunesse africaine et décidé de lui donner la parole dans une série spéciale. Quatre garçons et quatre filles originaires d’Afrique de l’Ouest et centrale ont débattu à Dakar de leurs rêves et de leurs difficultés. Rentrés chez eux, ils ont écrit sur les sujets qui leur tiennent à cœur.

Présentation de notre série Amour et séxualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest

Episode 1 « Quand les filles d’Abidjan prennent le pouvoir sur la drague grâce aux réseaux sociaux »

Episode 2 « Mettre un frein à l’émancipation des Nigériennes, c’est nuire à toute la société »

Episode 3 Etre adolescent et gay au Bénin, c’est vivre caché dans un monde libre

Episode 4 « Au Tchad ou ailleurs, les hommes de qualité ne craignent pas l’égalité »

Episode 5 Au Mali, l’amour impossible de Mariame la noble et Oumar le griot

Episode 6 « Je suis toutes les épouses enfants du monde »