Arte, mardi 25 décembre à 22 h 50, documentaire

Dans le documentaire de Gregory Monro en forme de portrait de Michel Legrand (né en 1932), ce dernier raconte que la première critique qu’il reçut fut celle de Max Favalelli, dans France-Soir, en 1956 : « Michel Legrand confond la musique et une fonderie du Creusot. » Une manière de dénoncer la modernité du jazz que pratiquait le compositeur, pianiste et chef d’orchestre (mais aussi chanteur et acteur) et qu’avaient huée les « quarante premiers rangs » de spectateurs de l’Alhambra alors que Legrand faisait la première partie de Maurice Chevalier en donnant trois pièces de « jazz moderne » de sa plume…

Alors qu’il avait choisi le jazz – qu’il découvre en 1948 à Paris, Salle Pleyel, avec Dizzy Gillespie –, le jeune Legrand s’entendit dire par son professeur, la mythique Nadia Boulanger : « Arrête de jouer ces musiques avec trois accords… » On pourra s’étonner d’une telle remarque de la part de celle qui avait plutôt le chic de rerouter ses élèves vers leur vraie nature musicale.

Michel Legrand avait un talent d’écriture qu’il aurait pu exercer dans ce que les Anglo-Saxons nomment « la musique sérieuse »

C’est sûrement parce que Legrand avait un talent d’écriture qu’il aurait pu exercer dans ce que les Anglo-Saxons nomment « la musique sérieuse ». S’était-il « dérobé » à cet avenir, comme le suggère Stéphane Lerouge, coauteur des deux livres de souvenirs de Legrand, Rien n’est grave dans les aigus (Le Cherche Midi, 2013) et J’ai le regret de vous dire oui (Fayard, 350 pages, 24,50 euros) ?

La musique dite « classique » – qui est très peu évoquée dans ce documentaire alors qu’elle infuse de ses marches harmoniques à la Schumann et de ses néo-baroquismes à la Bach tant de partitions de Legrand – restera une affaire sensible chez lui. Il rendra hommage à son père Raymond – dont très peu est dit, probablement parce que son rôle pendant l’Occupation mériterait quelques développements – en enregistrant, en 1993, le Requiem de Gabriel Fauré, dont Raymond Legrand avait été l’élève.

« Pulvérisateur de frontières »

« Pulvérisateur de frontières », comme le dit Stéphane Lerouge, Michel Legrand fera de certaines de ses musiques de film des œuvres de concert et il écrira même un Concerto pour piano swinguant mais qui surfe sur les lieux communs de la musique savante du XXe siècle. Ainsi que le reconnaît Legrand, l’urgence dans laquelle la musique de cinéma est conçue titille davantage son adrénaline créatrice.

Mais quel inventeur de mélodies ! Celles pour les films de Jacques Demy resteront, on le sait, dans la mémoire collective, de même que celles de ses partitions-fleuves hollywoodiennes : L’Affaire Thomas Crown (1968), en particulier, dont il imposera que la force directrice du film et le montage final soient mus par la musique, écrite après un seul visionnage des cinq heures originales que lui montre le réalisateur Norman Jewison.

On peut regretter les « tics » de réalisation de ce documentaire

Un Oscar (le premier des trois que remportera Legrand à Hollywood) récompensera la célèbre chanson The Windmills of Your Mind, devenue en français Les Moulins de mon cœur. Et, ainsi que le dit Legrand avec une délicieuse (mais lucide) vanité : « Après, tous les films sont passés par moi, c’était le paradis… »

On peut regretter les « tics » de réalisation de ce documentaire : images reconstituées de Legrand enfant à son piano, à côté d’un… porte-parapluies ; commentaire en voix off qui fait parler la musique à la première personne du singulier. Mais la documentation est sérieuse et les propos des témoins intéressants – dont ceux de Bertand Tavernier, œil et oreille toujours justes.

Michel Legrand, sans demi-mesure, documentaire de Gregory Monro (Fr., 2018, 52 min). www.arte.tv