Dans le camp d’Al-Hol, Syrie, le 1er février 2017. / DELIL SOULEIMAN / AFP

La question représente un véritable casse-tête pour de nombreux Etats européens. Quel sort pour les djihadistes venus d’Europe, leurs épouses et leurs enfants, qui sont aujourd’hui détenus ou retenus par les forces à dominante kurde basées dans le nord-est de la Syrie ? Faut-il organiser le retour des enfants uniquement ? Comment alors les séparer de leurs mères, qui sont considérées comme aussi responsables que les hommes partis faire le djihad dans la zone irako-syrienne ? Doit-on laisser ces derniers aux autorités à dominante kurdes, non reconnues, et qui ne veulent pas d’eux ?

Alors que la tension monte dans la région et que la perspective d’une intervention turque laisse craindre l’éparpillement des djihadistes détenus dans les prisons des forces à dominante kurde, la justice belge a tranché dans le cas de six enfants. Mercredi 26 décembre, un juge des référés du tribunal néerlandophone de première instance de Bruxelles a ordonné à l’Etat belge d’organiser leur rapatriement.

Le juge des référés a pris le contre-pied d’un arrêt rendu cet été par la cour d’appel, qui avait rejeté la requête de deux mères de trois enfants chacune. Dans le cas jugé à Bruxelles, les six enfants, âgés de 0 à 6 ans, et leurs deux mères, âgées de 25 et 26 ans, sont retenus dans le camp de réfugiés d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie, à quelques kilomètres de la frontière irakienne.

Intérêt des enfants

Cette zone est contrôlée par les forces à dominante kurde qui ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre l’Etat islamique avec le soutien de la coalition internationale. Le juge a estimé qu’au nom des intérêts des enfants, l’Etat belge devait prendre « toutes les mesures nécessaires et possibles » pour les faire revenir, selon une copie de la décision transmise à la presse.

« Ils n’ont aucune liberté de mouvement », a expliqué à l’Agence France-Presse Anouk Devenyns, la porte-parole du tribunal néerlandophone de Bruxelles. Et même si leurs mères sont incarcérées à leur retour en Belgique, « un contact restera possible » avec les enfants dans de meilleures conditions qu’actuellement en Syrie, a fait valoir la magistrate. En proportion de sa population, la Belgique a été un des tout premiers pourvoyeurs de combattants étrangers pour le djihad en Syrie, avec plus de 400 départs d’adultes recensés depuis 2013.

La justice belge a donné à l’Etat quarante jours pour s’exécuter, sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour et par enfant, et proposé une série de mesures concrètes pour aboutir. Ainsi, l’Etat belge est invité, pour prendre contact avec les autorités du camp, à recourir, si besoin est, « au personnel diplomatique et/ou consulaire d’un autre Etat de l’UE [Union européenne ] ». Il doit délivrer les papiers d’identité nécessaires, y compris aux deux mères, qui doivent pouvoir envisager le voyage avec les enfants dans un cadre « sécurisé », sans être forcées de fuir, est-il souligné. La Belgique a souvent mis en avant l’absence de représentation consulaire en Syrie pour expliquer son incapacité à agir concernant le retour des enfants de djihadistes privés de liberté dans ce pays en guerre depuis 2011.

« Un fardeau » pour les autorités locales

Il y a deux mois, à Bruxelles, un représentant des autorités locales à dominante kurde du nord-est de la Syrie avait dénoncé le refus des pays européens de reprendre leurs ressortissants membres du groupe Etat islamique détenus. « Ils nous laissent supporter ce fardeau », avait-il déploré, soulignant que 584 femmes et 1 250 enfants avaient été placés dans deux camps. Des responsables kurdes de Syrie avaient alors expliqué au Monde que la France n’était pas concernée par cet appel aux pays européens à rapatrier leurs ressortissants.

Après avoir rencontré des conseillers du président Emmanuel Macron à Paris le 21 décembre, Ilham Ahmed, une des principales responsables politiques kurdes de Syrie, a dit au Monde que le risque d’une intervention turque après le retrait des troupes états-uniennes annoncé par Donald Trump faisait courir le risque d’une dissémination des djihadistes.

« Nos alliés doivent bien comprendre que si nous perdons le contrôle de notre territoire à cause de leur retrait, nous n’allons pas prendre les terroristes étrangers avec nous. Ce n’est pas seulement de la survie de notre peuple qu’il s’agit, c’est de la sécurité des rues de Paris et des villes européennes. Si la Turquie nous attaque, l’Etat islamique sera renforcé et la sécurité de l’Europe sera à nouveau menacée. »