Une combattante kurde des Unités de protection de la femme (YPJ) à Tal Tamr, au nord-est de la Syrie, le 21 décembre 2018, lors des funérailles d’un soldat des forces démocratiques syriennes tué par l’organisation Etat islamique. / DELIL SOULEIMAN / AFP

Editorial du « Monde ». Seul contre tous ou presque, Donald Trump a ordonné le retrait de l’armée américaine de Syrie. « Nous avons vaincu l’Etat islamique en Syrie », a tweeté le président des Etats-Unis le 19 décembre, ajoutant plus tard dans une vidéo : « Nous avons gagné. Il est temps que nos troupes rentrent à la maison. Ils rentrent tous, et ils rentrent maintenant. »

En rappelant les 2 000 militaires engagés en Syrie, M. Trump honore une de ses principales promesses de campagne. Il envisage également le rapatriement de la moitié du contingent déployé en Afghanistan. Depuis la réponse désastreuse de George W. Bush aux attaques du 11 septembre 2001, qui privilégia guerres et invasions par rapport à une action antiterroriste plus subtile et clandestine, deux présidents américains successifs, Barack Obama et Donald Trump, ont été élus en promettant de mettre fin à ces interventions militaires.

Le problème est que la décision de M. Trump est, en l’état actuel du conflit, extrêmement dangereuse. Contrairement à ses affirmations, l’organisation Etat islamique (EI) n’a pas été vaincue. Elle a perdu depuis deux ans les villes et le territoire de son « califat », mais son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, est toujours vivant, et son état-major contrôlerait encore 20 000 à 30 000 combattants dans la région de la frontière irako-syenne.

Satisfaction de Moscou, Téhéran, Damas et Ankara

L’autre problème est que la décision présidentielle américaine ne satisfait que Moscou, Téhéran et Damas d’un côté, et Ankara de l’autre, mais personne dans le camp de la coalition anti-EI. Paris et Londres ont fait part de leur émoi. Et c’est à Washington que les oppositions sont les plus vives. Le secrétaire à la défense, James Mattis, et l’envoyé spécial du département d’Etat au sein de la coalition anti-djihadiste, Brett McGurk, ont immédiatement démissionné. Et, même dans le camp des « faucons » proches du président, notamment représenté par son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, l’ambiance doit être morose. Alors que, sous M. Obama, l’engagement en Syrie était strictement cantonné à la lutte contre l’EI, M. Bolton venait tout juste d’affirmer qu’elle avait d’autres objectifs à long terme, tels qu’obtenir le départ du pays de l’armée iranienne et de ses supplétifs. Pour lui aussi, le désaveu est total.

C’est comme si Donald Trump avait pris sa décision seul, en fonction des intérêts de Moscou et d’Ankara, et sans rien négocier en échange. Vladimir Poutine, qui a estimé que « Donald a raison », en est d’ores et déjà le grand vainqueur. Quant à Recep Tayyip Erdogan, c’est après une conversation avec lui que M. Trump a annoncé sa décision : la Turquie devient le bras armé de Washington dans la lutte contre l’EI en Syrie. Elle obtient au passage, comme M. Erdogan s’est empressé de le déclarer, le feu vert trumpien pour combattre les Kurdes.

La décision de Trump est une honte, un coup de poignard dans le dos. Les forces kurdes ont été les meilleures alliées de la coalition internationale en Syrie. Elles luttent encore chaque jour contre les djihadistes, et gardent des milliers de prisonniers susceptibles de se disperser dans le monde, notamment en Europe. Lâchées par les Américains, elles vont se retrouver prises en étau entre Ankara et Damas. Chacun est désormais prévenu : la parole d’un président américain ne vaut rien. Vous pouvez participer à une guerre décrétée comme étant « juste » par le monde entier, perdre des milliers de combattants, et être lâché par un simple Tweet. Cette trahison est la meilleure nouvelle pour le mouvement djihadiste depuis longtemps.